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Améliorer sa résilience : au delà de l’injonction au rebond

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Contrairement à ce qu’on lit un peu partout, la résilience, ce n’est pas la capacité à rebondir comme un élastique face à l’adversité. On ne “muscle” pas sa résilience grâce à de simples astuces de développement personnel ou à une meilleure gestion de ses émotions et de son organisation au travail. Cette conception contemporaine est très réductrice. La résilience est une expérience intérieure profonde, amorcée à la suite d’un événement traumatique.

Comme le rappelle Jacques Lecomte, spécialiste de la psychologie positive et de la résilience, chacun perçoit les épreuves à sa manière : “pour certains, la perte d’un animal de compagnie peut constituer un véritable choc ». Pour d’autres, ce sera un divorce, un deuil, des maltraitances, un viol ou un accident grave… « Il n’y a pas de classement dans la douleur psychique. Ce qui compte, c’est l’intensité du bouleversement et de la sidération éprouvés. »

La résilience, c’est finalement la capacité à continuer de vivre pleinement, avec soi-même et avec les autres, sans que l’épreuve traversée ne fige toute notre existence. Jacques Lecomte, psychologue.

Ras-le-bol du hashtag #résilience ? Nous aussi.

La résilience est plus que jamais sur toutes les lèvres. Des reels Instagram aux podcasts de développement personnel, en passant par les conférences TEDx, elle s’affiche aujourd’hui comme un mot-clé incontournable.

Pour autant, ceux qui ont théorisé ce concept se montrent sceptiques face aux dérives de son usage. Galvaudée, vidée de sa substance, la résilience devient un hashtag creux, synonyme de souplesse mentale, de positivité permanente et de dépassement de soi.

Un rapide coup d’œil à votre fil LinkedIn suffit pour croiser cette version édulcorée de la résilience : « Restez positif », « Pas d’échec, que des leçons », « Savoir lâcher prise », ou encore le tristement célèbre « La vie, c’est 10 % ce qui t’arrive, 90 % comment tu y réagis ».

Mais alors, qu’est-ce que la résilience d’une personne ? 

La résilience, dans son véritable sens, tel que la décrivent Boris Cyrulnik et Jacques Lecomte, prend racine dans des blessures psychiques profondes, souvent liées à des événements traumatiques — ce que ces intellectuels appellent sobrement des “trauma”.

Confondre résilience et simple capacité d’adaptation, c’est minimiser l’ampleur du cheminement intérieur que nécessite une reconstruction après un choc réel. Dans bien des situations, il serait plus juste de parler de capacité d’adaptation, de gestion du stress ou de flexibilité émotionnelle.

Redonner tout son sens à la résilience, c’est aussi reconnaître la complexité de ceux et celles qui traversent de profondes tempêtes intérieures , « non pas parce qu’ils seraient ‘forts’ , mais parce qu’ils ont parfois pu compter sur un soutien extérieur ou découvrir en eux des ressources insoupçonnées' »selon Jacques Lecomte. 

Capacité de résilience : ni innée, ni acquise, mais expérimentée

La résilience n’est pas un trait de personnalité ou un état d’esprit réservé à quelques élus. À l’inverse, elle n’est pas non plus une compétence, une technique qu’on peut apprendre en stage :

Croire que certains sont naturellement résilients ou ont appris à l’être pourrait culpabiliser injustement ceux qui souffrent plus durablement. Jacques Lecomte.

La résilience est une expérience, souvent imposée par l’épreuve pour se reconstruire. Chaque être humain peut y accéder, à son rythme, selon ses ressources.

Selon Johanna Rozemblum, psychologue, la résilience se distingue du simple fait de surmonter une épreuve, car elle implique une véritable transformation :

Être résilient, c’est reconnaître pleinement que l’on a été touché, même brisé, et accepter qu’il faudra se reconstruire autrement. C’est accueillir le changement profond que notre expérience impose. Johanna Rozenblum.

Résilience : “chacun sa route, chacun son chemin !”

Que vous traversiez un événement d’une violence extrême , comme un viol, un accident de voiture ou une maladie grave ou une épreuve profondément bouleversante, telle qu’une rupture amoureuse, un licenciement ou un harcèlement moral, le cheminement vers la résilience peut prendre des formes très diverses.

Il ne s’agit pas d’un parcours balisé, avec des étapes identifiables à franchir. Comme le souligne le psychologue Jacques Lecomte, « Chaque individu trouve ses propres appuis pour rebondir : la thérapie, l’amour, l’engagement professionnel ou associatif, la spiritualité, le sport, la musique, ou encore l’amitié ».

Certaines personnes reconstruisent leur équilibre sans jamais mettre de mots sur leur souffrance, simplement en retrouvant une activité qui les reconnecte à la vie.

Cela dit, malgré la diversité des parcours, on peut repérer certaines dynamiques récurrentes qui favorisent l’émergence d’un processus de résilience, sans qu’il s’agisse pour autant d’un modèle figé ou universel.

Voici quatre d’entre elles, souvent retrouvées dans les récits de personnes ayant surmonté des épreuves : l’accueil des émotions, la reconstruction du sens, le soutien relationnel, et l’engagement dans l’action.

Accueillir le négatif : vers la résilience émotionnelle 

Parmi les dynamiques fréquemment observées dans les parcours de résilience, l’une d’elles consiste à accueillir pleinement ce que l’on ressent.  

Accueillir la tristesse, la colère, la honte, l’impuissance, même si ces émotions semblent ingérables. Jacques Lecomte. 

Il ne s’agit pas de nier, de minimiser ou de relativiser. Il s’agit d’oser reconnaître sa souffrance : “Oui, je traverse un divorce difficile, et je me sens terrassé.” “Oui, j’ai subi des violences, et je me sens détruit.”

Chez l’enfant comme chez l’adulte, le déni ou la minimisation bloquent le processus. L’acceptation émotionnelle est une clé pour avancer. Une psychothérapie ou un travail d’introspection peut être nécessaire pour avancer vers cette résilience émotionnelle

Donner du sens pour être résilient 

Cela peut paraître impensable sur le moment, et pourtant : avec le temps, il est parfois possible de donner un sens à la douleur. Pour Jacques Lecomte, cela ne signifie pas justifier l’injustifiable, mais plutôt se demander : “Que vais-je faire de cette épreuve ? Quel sens puis-je choisir de lui donner, pour continuer à avancer ?”

Chez l’enfant comme chez l’adulte, cette recherche de sens permet souvent de sortir de la sidération, de retrouver un fil conducteur et de se remettre en mouvement. “Il s’agit là d’un facteur intrapersonnel essentiel de la résilience”, selon Jacques Lecomte : un travail intérieur de réorganisation, qui permet peu à peu de redonner une cohérence à son histoire.

Poser des actes de mouvement de résilience

La résilience n’est pas seulement un état intérieur. Elle se traduit aussi souvent par des gestes profondément significatifs : parler de ce qu’on a vécu, demander de l’aide, renouer du lien, reprendre une activité ou des études, poser des limites, quitter une relation néfaste, ou encore porter plainte.

Ces actes brisent la passivité imposée par la douleur. Ils marquent une reprise de pouvoir sur sa propre vie. Chez les enfants, cela peut passer par un retour à des activités créatives ou sociales. Chez les adultes, par l’engagement dans de nouveaux projets ou la mise à distance de relations destructrices.

Mais il faut le dire : ces “mouvements de résilience” demandent souvent du courage. Ce n’est pas une renaissance joyeuse et fluide — c’est parfois une nouvelle épreuve en soi. Comme une double peine : sortir de la souffrance demande parfois de se heurter à d’autres résistances. Quitter une relation d’emprise affective, dénoncer un proche, rompre un silence… autant de démarches difficiles mais nécessaires.

Le mouvement résilient ne vise pas un soulagement immédiat. Il cherche à produire, sur le moyen ou long terme, un effet positif, une reconstruction. Et cela implique souvent de se confronter à des situations inconfortables voire difficiles

Reconnaître ses tuteurs de résilience

Contrairement à l’image du héros solitaire, la résilience ne se construit pas dans l’isolement. Boris Cyrulnik critique d’ailleurs la récupération néolibérale du concept, qui valorise un individu supposé s’auto-réparer, coûte que coûte, dans une logique de performance.

Or, le lien à l’autre, le soutien affectif et les ressources sociales jouent un rôle souvent déterminant dans la capacité à rebondir. “C’est ce que nous appelons les facteurs interpersonnels de résilience”, précise Jacques Lecomte. La société, la famille, l’école, le soin… tous ont un rôle à jouer dans la reconstruction.

Les “tuteurs de résilience”, selon Jacques Lecomte, sont ces personnes ou ces groupes qui nous aident à nous redresser.

Il faut ouvrir l’œil pour reconnaître les tuteurs de résilience, mais bien souvent, les personnes ayant vécu un traumatisme croisent leur chemin. Jacques Lecomte.

Ces tuteurs peuvent être :

  • Des proches bienveillants,
  • Des amis de confiance,
  • Des thérapeutes compétents,
  • Des enseignants engagés,
  • Des groupes d’entraide ou des associations, 
  • Ou tout autre personne : selon Jacques Lecomte, qui raconte avoir travaillé un temps dans une MECS (Maison d’Enfants à Caractère Social), l’une des figures les plus marquantes pour les enfants n’était pas un éducateur, mais un homme à tout faire. Proche d’eux au quotidien, il leur montrait comment fonctionnaient les choses, leur transmettait des savoirs concrets, et glissait parfois des leçons de vie simples, écoutées avec une attention sincère.

Les groupes de parole, les associations de victimes ou de soutien ne sont pas des espaces où des victimes se complaisent dans la plainte, mais des lieux de reconstruction. Ils permettent l’identification, la reconnaissance émotionnelle et l’espoir partagé. Jacques Lecomte.

Alors un petit conseil : choisissez vos tuteurs de résilience avec soin. Tous ne se valent pas. Le tuteur idéal n’est pas seulement quelqu’un qui comprend intellectuellement ce que vous vivez : “il doit pouvoir saisir la détresse émotionnelle. Parfois, partager avec des personnes ayant vécu des épreuves similaires apporte un soutien irremplaçable”, conclut Jacques Lecomte.

Comment puis-je « renforcer » ma résilience ? 

Si la résilience ne s’enseigne pas comme une compétence classique, elle peut néanmoins se nourrir de certaines attitudes et ressources intérieures. Voici quelques leviers identifiés par les spécialistes pour soutenir ce cheminement.

Par la pensée positive ! 

Pour Jacques Lecomte, la vraie pensée positive n’est pas un déni de la douleur, mais une recherche active de ressources et de sens, même au cœur de l’épreuve. Ce n’est pas ignorer les problèmes et ce qui va mal, mais plutôt chercher ce qui peut encore aller bien, et s’y accrocher pour avancer en préservant sa santé mentale

Dans un processus de résilience, cette orientation vers l’espoir joue un rôle essentiel. Concrètement, cela peut passer par :

  • Accepter l’aide des autres,
  • Célébrer les petites victoires quotidiennes en accueillant les émotions positives qui y sont associées, 
  • Se fixer des objectifs clairs et atteignables,
  • Réorienter ses priorités vers ce qui compte vraiment.

Penser positivement c’est donc un optimisme lucide pour trouver des points d’appui afin d’avancer. 

En cultivant sa confiance en soi dès l’enfance ! 

Il est possible de renforcer sa résilience en traversant des épreuves dès l’enfance, rappelle la psychologue Johanna Rozenblum. C’est pourquoi la surprotection parentale, bien qu’animée de bonnes intentions, peut s’avérer contre-productive.

Vivre des échecs tôt et apprendre à les surmonter aide à bâtir une véritable confiance en soi, indispensable pour faire face aux épreuves de l’existence. Johanna Rozenblum.

Même lorsque la vie frappe fort, la reconstruction reste possible — et elle peut emprunter différentes voies. La thérapie cognitive et comportementale (TCC) est l’une d’elles : “la composante cognitive permet de mieux comprendre ce que l’on traverse et d’en décoder les effets, tandis que la dimension comportementale invite à des choix pragmatiques, concrets, pour se remettre en mouvement”, selon la psychologue.

Vous l’avez compris, la résilience ne se résume pas à une série de compétences à cocher. Elle n’a rien d’une injonction à “aller mieux” à tout prix, ni d’un vernis de positivité permanente. C’est une transformation intime, souvent inconfortable voire douloureuse, parfois invisible, mais profondément humaine. Il est toujours possible de se reconstruire, en trouvant les bons appuis.

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Cédric

Depuis 1998, je poursuis une introspection constante qui m’a conduit à analyser les mécanismes de l’information, de la manipulation et du pouvoir symbolique. Mon engagement est clair : défendre la vérité, outiller les citoyens, et sécuriser les espaces numériques. Spécialiste en analyse des médias, en enquêtes sensibles et en cybersécurité, je mets mes compétences au service de projets éducatifs et sociaux, via l’association Artia13. On me décrit comme quelqu’un de méthodique, engagé, intuitif et lucide. Je crois profondément qu’une société informée est une société plus libre.

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