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Départ à la retraite : comment gérer ce tournant psychologique majeur

Après des décennies de travail, nous voici enfin libres de nos journées, sans avoir à gagner notre vie. Quel bonheur ! « Certains vivront d’abord la retraite comme une lune de miel ou de longues vacances avec la possibilité de réaliser tout ce qu’ils n’avaient pas pu faire jusque-là », explique le Pr Jean-Luc Bernaud, professeur des universités en psychologie au Conservatoire national des Arts et Métiers (CNAM).

« C’est souvent une fois toutes ces choses réalisées, qu’ils passeront par une phase de latence ou de désenchantement nécessitant la mise en place de nouvelles routines. D’autres, à l’inverse, passeront par la phase de latence dès leur arrivée à la retraite, comme un besoin de pause avant de savoir dans quelles actions et activités s’engager. C’est après cette phase de réflexion qu’ils vont pouvoir vivre pleinement ce temps libéré de contraintes professionnelles ».

1. Départ à la retraite : après la lune de miel, le désenchantement ?

Selon le Pr Bernaud, la transition de l’emploi vers la retraite se fait en quatre phases :

  • L’anticipation et l’ajustement, quand on est encore dans le monde du travail, avec une augmentation importante du niveau d’anxiété ;
  • Puis la « lune de miel » (entre 6 et 12 mois après le départ à la retraite), marquée par des sentiments de satisfaction, une énergie accrue, de nombreux projets et la jubilation de « pouvoir enfin faire ce qu’on a toujours voulu faire » ;
  • avant un désenchantement (13 à 18 mois) où « on prend conscience plus ou moins douloureusement du caractère caduc de nos anciennes normes et relations » ;
  • Puis, après, survient une phase de stabilisation une fois réévaluée la nouvelle situation, accepté ses nouvelles limites et ce nouveau statut de retraité. « Ces durées représentent une moyenne et peuvent varier d’une personne à l’autre », ajoute-t-il.

2. On peut éprouver un sentiment de perte de sens

« Quand on évoque la retraite, le vécu des personnes et leur ressenti sont rarement évoqués alors qu’il s’agit d’une période charnière et tout à fait unique de la vie », souligne Jean-Luc Bernaud.

Les premières années de la retraite sont à forts enjeux identitaires : définissant un nouveau rapport à soi, on cherche ses repères. Toute l’identité, qui se définit par des aspects à la fois personnels et sociaux, est questionnée. Jean-Luc Bernaud, professeur des universités en psychologie.

C’est cette part sociale qui va devoir être réinventée sans personne d’autre que soi pour (ré) organiser ce temps libéré. « La disparition du cadre social professionnel oblige chacun à mettre en place de nouvelles formes identitaires qui procureront des sources de reconnaissance similaires ». Plus le travail occupait une place centrale, plus la transition pourrait être complexe. « Où vais-je dorénavant puiser le sens que je donne à ma vie ? », résume le Pr Christian Heslon, professeur de l’enseignement supérieur en psychologie et directeur de l’école de psychologues praticiens (Paris et Lyon). 

Les parades

Si on observe les orientations prises, trois grandes options semblent privilégiées. « Celle d’activités substitutives au travail rémunérateur : engagements bénévoles associatifs ou politiques, mais aussi activités tournées vers la famille ou aux résultats tangibles et partageables : bricolage, jardinage, cuisine, écriture, sport… toutes sont pourvoyeuses de sens de la vie car elles fournissent aussi un statut, un rôle clé, des relations sociales, une organisation de l’espace et une structuration du temps », dit le Pr Heslon.

« Une deuxième, quasiment opposée, consiste à développer une vie intérieure, spirituelle, religieuse, métaphysique, qui peut aussi répondre à cette quête de sens. Une troisième est la fuite en avant dans le consumérisme, pourtant peu porteur de sens… ». Si vous vous sentez en proie à la déprime, vous pouvez vous tourner vers des activités comme la méditation, le yoga, la marche qui ont des effets directs sur le cerveau et les « hormones du bonheur ».

3. On change de place générationnelle

« Si tous les retraités ne sont pas concernés, dans la majorité des cas, le moment de la retraite n’est pas éloigné de l’entrée dans la grand-parentalité », précise le Pr Heslon. Bien sûr, les grands- parents ne s’identifient pas tous à ce rôle au même degré. Pour certains, ce sera un nouveau statut qui structurera une bonne partie de leur emploi du temps et occupera un fort espace psychique.

Pour d’autres, au contraire, ce sera une source d’inquiétude, voire de dérangement ou de contrariété. « Mais des études tendent à montrer que c’est plutôt une source d’équilibre : sentiment de transmission et d’accomplissement quand vient au monde l’enfant de son enfant, rajeunissement d’âge subjectif, occasion de revivre et rejouer une simili-fonction parentale, moins anxiogène et débarrassée de la charge de responsabilité incombant aux parents… », rassure le Pr Heslon.

Les parades

« Cette fonction grand- parentale suppose que l’apprenti-retraité se pose à lui-même et pose éventuellement à son conjoint un certain nombre de questions parmi lesquelles : à quelle fréquence, pendant combien de temps à chaque fois, jusqu’à quel point s’occuper du ou des petits-enfants ? Comment conjuguer le couple grand-parental et les projets individuels de chacun des conjoints, avec ce nouveau projet commun ? Dans quelle mesure soutenir et aider ses enfants devenus parents sans pour autant se substituer à eux ? », conseille-t-il. Comme on vit mieux et plus longtemps, c’est la première génération qui, vers 60 ans, se retrouve à la fois parent, souvent grand- parent, et également enfant de personnes avoisinant les 80-90 ans. « C’est aussi une place d’aidant vis-à-vis de ses parents qu’il faut bien souvent assumer », rappelle-t-il.

4. On découvre un nouveau rapport au couple et à la sexualité

« Quels que soient les pactes conjugaux implicites ou explicites passés, la question de la réalisation de soi et de la liberté mutuelle au sein du couple se pose avec plus d’acuité à la retraite parce que c’est l’ultime période encore riche de possibles », souligne Christian Heslon. Et le sexe n’y échappe pas. « La médecine, avec des produits comme le Viagra et d’autres, ainsi que l’évolution des mœurs, qui tend à rendre possible voire souhaitable de continuer à faire l’amour après 60, 70 ou 80 ans, favorisent une sexualité active à ces âges avancés. Mais l’usure du désir, le déclin de la libido, voire l’absence d’attirance pour la sexualité peuvent reléguer la vie sexuelle ».

Les parades

« L’échange et le dialogue peuvent permettre à chaque couple de trouver ses accords et ses pactes. Pourquoi pas avec l’aide d’un sexologue ou d’un conseiller conjugal ? ». Car selon Marie de Hennezel, psychologue clinicienne et écrivaine, ce qui est sûr, c’est que maintenir une activité sexuelle en vieillissant garantit une longévité en bonne santé.

Le mot aventure convient parfaitement aux plus de 60 ans qui n’ont pas renoncé au désir ni à la sexualité. Marie de Hennezel, psychologue clinicienne et écrivaine.

Le sujet est tabou. En vieillissant, beaucoup pensent que ce n’est plus de leur âge, et que le corps vieilli n’est plus désirable. Il n’y a pourtant pas de limite d’âge à la vie amoureuse, sexuelle et désirante, puisque le cœur ne vieillit pas. Mais il ne faut pas chercher à retrouver ce que l’on a connu jeune. Car cet Eros tardif est « autre ». De pulsionnel et performant il devient plus lent, plus tendre, plus sensuel, plus relationnel ». Les couples qui se forment sur le tard, ou ceux qui s’aiment encore après bien des années, s’engagent dans cette aventure qui demande « beaucoup d’intimité, de connivence amoureuse et de confiance : accepter son corps, prendre le temps, ne pas chercher la performance, savoir prendre le plaisir tel qu’il est, tel qu’il vient, sans se focaliser sur ce qu’il devrait être, rester inventif ».

« Quelque chose de nouveau, parfois plus authentique peut s’installer », renchérit le Pr Bernaud. « Parce que les enjeux du début de vie disparaissent, ce qui laisse peut-être plus de place à une autre qualité de relation ».

5. Après le départ à la retraite, on se réinvente

On a tous et toutes des exemples de vieux merveilleux qui respirent la joie de vivre. Quel est leur secret ?

Je crois que c’est rester ouvert de cœur et d’esprit, répond simplement Marie de Hennezel. C’est aussi changer de regard sur la vie, nourrir l’imaginaire de nos enfants.

Les parades

Cultiver la nouveauté, parfois simplement en changeant nos habitudes les plus quotidiennes ! « C’est ne pas mettre la mort de côté et réfléchir à ce qui est compte vraiment », poursuit la psychologue. « Il faut aussi s’alléger, ne pas traîner de regrets, rancunes, remords ou culpabilités qui empêchent de bien vieillir. Il n’est pas trop tard, après 60 ans, si on a des valises trop lourdes, pour commencer à les alléger. C’est une invitation à un voyage intérieur, le moment où on peut revisiter son passé, comme une maison, découvrir de nouvelles pièces. C’est le paradoxe de vieillir, qui peut être le temps de l’éclosion ».

À lire

  • Psychologie de la retraite, sous la direction de Christian Heslon, Even Loarer et Jean-Luc Bernaud, éd. Dunod, 31 € (septembre 2024) ;
  • L’aventure de vieillir, de Marie de Hennezel, éd. Robert Laffont / Versilio, 17 € ;
  • L’éclaireuse. Entretiens avec Marie de Hennezel, Olivier le Naire, éd. Actes Sud, 19 €.


Sources

Auteur :

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Cédric

Depuis 1998, je poursuis une introspection constante qui m’a conduit à analyser les mécanismes de l’information, de la manipulation et du pouvoir symbolique. Mon engagement est clair : défendre la vérité, outiller les citoyens, et sécuriser les espaces numériques. Spécialiste en analyse des médias, en enquêtes sensibles et en cybersécurité, je mets mes compétences au service de projets éducatifs et sociaux, via l’association Artia13. On me décrit comme quelqu’un de méthodique, engagé, intuitif et lucide. Je crois profondément qu’une société informée est une société plus libre.