Derrière la porte | Christine* est « vieille fille », et fière de l’être
La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Aujourd’hui : Christine*, 50 ans
Christine a 50 ans, jamais vraiment eu d’amoureux, un amant un temps, et c’est tout. Elle vit seule depuis toujours et ne vous en faites surtout pas pour elle, tout est très bien ainsi, merci.
Elle nous a écrit à la suite du témoignage d’un certain David*, fin avril, souvenez-vous, lui aussi seul, avec son chat, et « très bien comme ça ».
« Je vis aussi seule avec mon chat ! », déclare d’emblée notre interlocutrice à la caméra, en gloussant. On a affaire à une ricaneuse, avec une bonne dose d’autodérision, ça paraît. Elle est en outre « grognonne » à ses heures, carrément « vieille fille » assumée, ajoute-t-elle en gloussant de plus belle. Bref, l’entretien s’annonce gai ! « Et je suis très bien comme ça aussi ! »
Nous la « rencontrons » virtuellement, donc, en raison de la distance, au début du mois. C’est en lisant le récit dudit David qu’elle a pris conscience de son état, débute-t-elle. « J’ai réalisé que [avec quelqu’un], je me sentais envahie ! »
Moi, l’amour qui donne des ailes, je n’ai jamais compris ça. Je ne l’ai jamais vécu. Quand un homme s’intéresse à moi, je le vois plus comme une menace…
Christine, 50 ans
Une menace ? Elle s’explique : « Une menace de m’envahir, dit-elle. Quand il y a quelqu’un chez moi, je suis toujours sur le gros nerf, j’ai peur de ne pas être à la hauteur, que le monde voie le moindre défaut, le coin du mur de poussière oublié… D’ailleurs, je ne reçois pas », tranche-t-elle.
« En manque d’assurance », notre Christine ? « Quand je suis avec quelqu’un, je ne me sens pas moi-même, confirme-t-elle. J’ai peur de ne pas plaire. Il faut toujours que je sois à mon meilleur. J’ai tendance à m’écraser. Tant qu’à vivre ça, autant rester toute seule ! »
Non, ça n’est pas nouveau. « J’ai toujours été comme ça. Même avec mes colocs ! »
Déjà, au secondaire, elle est du genre effacé. « Je suis une personne ordinaire. Pas extravertie. Je suis gênée au premier abord. Mais une fois que je suis moi-même, je peux être un boute-en-train ! » On avait remarqué.
Tout cela pour dire que ses premiers flirts se font sur le tard, autour de 20 ans. Encore là, Christine est très « gênée ». L’idée de se mettre à nu – « me dévêtir ! » – la fait rougir. « Pourtant, ce gars-là [le premier] m’aimait beaucoup ! », se souvient-elle. Or, là où il y a de la gêne, il n’y a pas de plaisir, comme on dit, et ses premières expériences au lit sont du coup une « déception ».
L’aventure dure quelques semaines, sans plus. Suivent quelques amourettes du genre, mais elles ne durent jamais bien longtemps non plus. « Trois semaines en moyenne. Et souvent, c’est moi qui mets un terme. Je ne me sens pas bien. Je me sens prise. Alors je laisse tomber. Je sens une obligation qui ne me plaît pas. »
Une obligation ? On ne parle pas de sexualité ici, précise-t-elle. Juste une obligation de côtoyer quelqu’un, c’est déjà lourd.
Une soirée à ne rien faire, pour moi, c’est une belle soirée ! Une soirée sans quelqu’un qui me pousse : on fait ci, on fait ça !
Christine, 50 ans
Toute sa vingtaine et sa trentaine, ses aventures sont donc « très espacées », poursuit Christine, jusqu’à ce qu’elle rencontre, quelque part au tournant de la quarantaine, celui qui deviendra son « amant régulier ». L’affaire dure sept ans. Et pourquoi ça marche ici, plus qu’ailleurs ? « Lui, il est bien marié, tout le kit, explique-t-elle, et c’était établi dès le départ qu’il ne laisserait jamais sa famille. » Bref : le schéma lui convient tout à fait. « Ça faisait mon affaire, il n’y avait pas d’histoire qu’il viendrait chez nous s’établir ! »
Ils se voient comme ça, à raison d’une fois ou deux par mois, à l’hôtel ou chez elle. Et oui, Christine prend son pied. « Il était attentionné, donc oui, j’avais beaucoup de plaisir. »
De son côté, elle prend plusieurs coquines initiatives : « J’apportais de la crème fouettée, des fois j’achetais des jeux, j’ai aussi incorporé la glace à la fellation, une chose que les hommes auraient intérêt à connaître ! », dit-elle en souriant, l’air coquin, justement.
Bref, elle s’amuse. « Oui, c’était le fun ! Moi, j’aimais ça. » Mais pas de quoi renier son confortable célibat. « Des fois, je trouvais ça long, j’aurais voulu qu’il parte plus vite ! », dit-elle en rigolant. « Je suis vraiment une vieille fille avec son chat ! »
Parenthèse : non, elle ne s’est jamais sentie coupable d’être la maîtresse. « C’était sa décision à lui. Et il n’y avait pas de sentiments. On s’appréciait et c’était tout. » C’est aussi Christine qui a mis un terme à l’affaire, pour différentes raisons personnelles. « Je me sentais déprimée, pas belle, toujours fatiguée. Quand je ne me sens pas belle, je n’ai pas le goût de m’exhiber. Je n’ai pas le goût d’avoir du fun, tout simplement. »
Cela va faire deux ans. Depuis ? « Aucun regret, affirme-t-elle. Ç’a été bon le temps que c’était là. Depuis : rien, et ça va super bien ! »
Je vais finir vieille fille, et je n’ai pas de trouble avec ça !
Christine, 50 ans
À noter que oui, si vous vous posez la question, Christine apprécie les plaisirs solitaires. Mais pas plus souvent qu’il faut. Rien de régulier, quoi. Une fois (ou deux, ou trois !) tous les trois mois. « Disons que c’est court et touchant, dit-elle en riant. Je suis bien équipée pour en venir au point. Ça me satisfait. »
Curieusement, sa famille trouve son éternel célibat plus difficile à vivre qu’elle. Pendant la pandémie, notamment, tout le monde s’est fait beaucoup de souci pour elle. « Un party de Noël annulé ? Génial ! se félicite quant à elle Christine. Je vais rester seule avec mon chat ! »
Certes, elle n’a jamais connu l’amour « réciproque », concède-t-elle. Sans doute cela change-t-il un peu la donne. « Peut-être que ce serait le fun d’être la personne de quelqu’un ? Peut-être que je ne me sentirais pas autant prise au piège ? Peut-être que je serais prête à faire un effort ? » Ou peut-être pas. L’avenir le dira. « Mais je ne vis pas de cet espoir. » Et à l’entendre se raconter, on la croit.
Au fait, pourquoi a-t-elle voulu ici témoigner ? « Je ne fais jamais rien d’éclatant, répond-elle sans hésiter. Je suis tellement ordinaire, tellement beige, alors pourquoi pas ? C’est anonyme en plus ! Et puis peut-être que mon témoignage va faire la même chose à quelqu’un que ce que le témoignage de David a fait pour moi ? Peut-être que quelqu’un va le lire et se reconnaître, identifier son mal-être, et voir qu’il n’est pas seul ? »
* Prénom fictif, pour protéger son anonymat
Auteur : Silvia Galipeau
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