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Derrière la porte | David* vit avec son chat, et c’est très bien comme ça

La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Aujourd’hui : David*, début quarantaine


David vit seul. Il n’a jamais eu de blonde, jamais eu de relation, ni sentimentale ni sexuelle. Pour tout dire, à 40 ans sonnés, il vit avec son chat, et ça lui va.

Il nous a écrit à la suite du témoignage de Sam*, souvenez-vous, qui racontait avoir pensé écrire un livre sur L’art de ne pas baiser, tant les codes de la drague semblaient lui échapper. « La partie cruise, disait-il, elle n’est comme pas dans mon cerveau, on dirait. »



Lisez le témoignage de Sam*

« Comme Sam, la drague, ce n’est aucunement mon truc, zéro, niet, nada, nous a écrit David dernièrement. Moi aussi, il y a un hack que je ne comprends pas, des codes à suivre que je n’ai jamais connus ou saisis. »

L’entrevue se tient virtuellement, distance oblige. D’emblée, notre interlocuteur en remet : « Ça m’a beaucoup interpellé, je me suis reconnu. C’est comme si j’étais resté au stade du secondaire, quand le monde se passe des petits papiers… »

Vous vous souvenez ? Cette époque où il suffisait de cocher une case, et le tour était joué, et le couple formé ?

Certes, précise notre interlocuteur, il lui est arrivé de sortir faire des activités, ici ou là, avec des filles. « Mais amener ça à un autre niveau ? Ça n’est jamais arrivé. » Comme s’il ne savait pas saisir le moment, ou l’éventualité même que le moment soit saisissable.

Il se revoit, ado, invité chez une copine. « Moi, je lui disais, viens t’asseoir : on va jouer à la console. » Et ? Et ils jouaient à la console. Ni rapprochement, ni frisson, ni le moindre jeu de mains à l’horizon.

Rendu à mon âge, je n’ai même aucune idée de ce que ça fait comme sensation. Oui, plus je vieillis, plus il y a un désintérêt…

David, début quarantaine

« Le frenchage, poursuit David, j’entendais parler de ça dans les partys. Un tel dans une chambre, une telle dans une chambre. Moi, mon seul intérêt dans ces partys-là, c’était de vider ma caisse de six et c’est tout… »

Début vingtaine, il se revoit aller au cinéma avec une fille. Ensuite, ils ont passé la nuit, littéralement, dans un resto 24 heures. Au petit matin, il lui a dit « bon matin », et c’est tout. Ce n’est que par la suite qu’il a fini par allumer : « Peut-être que j’aurais pu faire de quoi ? Mais sur le coup, ça n’adonne jamais… »

Une bonne quinzaine de fois, il lui est arrivé comme ça de se faire inviter chez une fille. « Et ça me rendait heureux ! » Mais chaque fois, David n’entreprend rien. Rien d’autre que jouer à la console, ou regarder la télé. « Une fois, les parents n’étaient pas là, se souvient-il, et moi, j’ai juste pris ma caisse de bière et proposé de regarder les Simpson. Après, j’ai pensé : il y avait peut-être de quoi que je n’ai pas compris ? » Ce fameux code, indécodable.

Est-ce que ça l’a déçu, dérangé, préoccupé ? « C’est spécial à dire, mais ce n’est pas tant par rapport à moi que ça me dérange que par rapport aux autres, répond-il. Moi, je suis habitué à réagir trop tard. Je suis habitué à dire : passe une belle soirée, et que ça s’arrête là… »

S’il se masturbe ? ose-t-on. Oui, mais « pas fréquemment », répond David. Une fois ou deux par semaine, « gros max ». Il n’est pas un consommateur de porno non plus. « Je n’ai jamais vraiment consommé ça », préférant de loin l’érotisme, à la Basic Instinct, glisse-t-il.

Début vingtaine toujours, un ami l’amène aux danseuses. David va y aller régulièrement pendant 10 ans, à coups de trois ou quatre fois par année. Chaque fois, il débourse des centaines de dollars. « J’ai passé beaucoup de temps là-bas, confirme-t-il. J’aurais pu m’acheter un char neuf [avec l’argent dépensé]. »

Ce qu’il y fait ? Il « jase ».

La danse contact, ce n’est pas ce qui m’intéresse. Jaser sur le coin du bar, ça fait mon affaire. Peut-être que je vais chercher là ce que je ne peux pas avoir ailleurs ?

David, début quarantaine

« Elles, elles sont payées pour faire ça, ajoute-t-il. C’est comme aller chez le psy, sauf que la psy est belle. »

Fin vingtaine, une danseuse lui demande carrément si elle peut l’embrasser. « C’est arrivé juste une fois, et je suis resté bête. » C’est plus ou moins son seul et unique baiser à vie.

Précision : adolescent, il a aussi embrassé un garçon en jouant à la bouteille, dit-il ici. Et puis ? Et puis rien, c’était un défi, point barre, comprend-on.

Au tournant de la trentaine, David a des soucis de santé mentale, et fait plusieurs allers-retours à l’hôpital. Il ne s’épanche pas sur le sujet, mais on devine que le moment n’est pas propice aux rencontres. Il faut attendre la mi-trentaine, une fois ses soucis « réglés », précise-t-il, pour qu’il fasse des avances à une femme. C’est la première – et sans doute la dernière – fois. « J’ai essayé d’approcher une collègue, et ça n’a pas marché. Elle a dit non, ce qui est tout à fait normal, sauf que pour moi, ce n’était pas normal. Et ça ne me tente pas de revivre ça », laisse-t-il tomber.

Depuis ? Depuis rien. David n’est jamais retourné aux danseuses non plus. « Je suis rendu ailleurs, je n’irais plus mettre 300-400 $ dans un bar. Et depuis la COVID, je suis devenu une autre personne. Je me suis enfermé dans mon coin et je fais mes affaires. Même sortir de chez moi, ça me demande tout mon petit change. Je reste avec mon chat, et je suis correct. »

Non, si vous vous posez la question, David n’a pas l’impression de passer à côté de quoi que ce soit. « Je m’en fous royalement. J’ai parlé à mon médecin de ma petite libido, et il m’a dit : si ça ne te dérange pas, ce n’est pas un problème », dit-il. « Et puis, c’est moins de trouble… »

Plus les années passent, plus l’idée même d’une relation, amoureuse ou sexuelle, se fait improbable, sait-il. À preuve : « Me rendre plus loin avec quelqu’un ? Je n’y pense même plus. »

*Prénoms fictifs, pour protéger leur anonymat



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Auteur : Silvia Galipeau

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Cédric

Depuis 1998, je poursuis une introspection constante qui m’a conduit à analyser les mécanismes de l’information, de la manipulation et du pouvoir symbolique. Mon engagement est clair : défendre la vérité, outiller les citoyens, et sécuriser les espaces numériques. Spécialiste en analyse des médias, en enquêtes sensibles et en cybersécurité, je mets mes compétences au service de projets éducatifs et sociaux, via l’association Artia13. On me décrit comme quelqu’un de méthodique, engagé, intuitif et lucide. Je crois profondément qu’une société informée est une société plus libre.