Paul* aime jouer, flirter, échanger un sourire ici, un regard coquin là. Passer à l’acte ? Moins. Explications et réflexions.
Le quadragénaire nous a écrit à la suite de la publication du témoignage d’une certaine Juliette*, qui disait récemment préférer la « séduction » à la « pénétration », et avoir plus de plaisir dans le « avant » que le « après ». « Ça me rejoint complètement, nous a écrit Paul tout récemment. Je n’ai jamais vraiment adoré la sexualité. […] C’est toujours le “avant”, comme Juliette, qui m’a procuré le plus de plaisir. »
Lisez le témoignage de Juliette*
Il se souvient tout jeune avoir eu de très grandes attentes face à la chose. Puis, quand le grand jour arrive enfin, à 17 ans, « ça a fait : ah ? Ouain. C’est juste ça ? », confie-t-il, attablé dans une chic aire de restauration de la Rive-Sud.
C’était avant la porno en ligne, au temps des magazines cochons et autres films érotiques à la télévision. « Ce qu’on voit à la télé, c’est toujours extraordinaire, c’est l’extase, ça a l’air tellement le fun et agréable ! Moi ? Ce n’était pas désagréable. Mais juste OK… »
Début vingtaine, Paul se revoit en discuter avec des copains du cégep, ou de l’université. « Il y en a qui jouissent et qui tombent dans les pommes ! Moi ? J’étais loin de vivre ça ! »
Ça m’a pris du temps à réaliser que j’ai relativement peu de sensations physiques et génitales.
Paul, fin quarantaine
Paul ouvre ici une parenthèse : père de famille nombreuse et en couple depuis 20 ans, « je suis capable, glisse-t-il, d’un air entendu. Sauf qu’éjaculer, c’est extrêmement long. Au moins 45 minutes. Aujourd’hui, éjaculer par la pénétration, je n’y arrive pas. » Si vous voulez tout savoir, oui, il se masturbe, une fois ou deux par semaine, quand il a le temps. « C’est long ! » Fin de la parenthèse.
Début vingtaine, donc, comme de raison, Paul se pose beaucoup de questions. Il « essaye des choses » comme il dit, dans l’espoir d’« éveiller des choses », justement. Pensez : trip à trois, quelques expériences à quatre, avec de l’alcool, de la drogue, etc. Tout ça pour constater que non : ça n’éveille rien du tout. « Pas plus que ça. J’ai réalisé que mon plaisir, c’est dans le “avant”, répète-t-il. Le jeu de la séduction, c’est ça qui est le fun ! J’ai du plaisir à séduire, à croiser un regard, à embrasser. Une fois que ça, c’est fait, je suis satisfait. L’étape d’après, je n’ai pas besoin d’aller là, parce que ce n’est pas si le fun que ça ! »
Précision : ni pour lui ni pour la fille. Pourquoi donc ?
On a une image classique de ce que “devrait être” une relation sexuelle. La finalité, c’est l’éjaculation. Or, si je n’ai pas ça, les filles ne savent pas quoi faire avec moi !
Paul, fin quarantaine
Masturbation, fellation, oubliez ça, « je n’ai pas tant de sensation, rappelle-t-il. Et je pense que c’est déstabilisant. Je pense que les femmes ne se sentent peut-être pas à la hauteur, alors que pour moi, ça n’a aucun rapport ! »
Quand il rencontre sa conjointe, fin vingtaine, Paul reste muet sur son état, ne lui fait pas encore part de ce manque de sensibilité, encore moins de son absence d’appétit pour la chose. Comment pourrait-il faire autrement ? « Non non, se défend-il. C’est difficile d’entrer dans une sexualité avec quelqu’un en disant : je n’ai pas de libido ni vraiment de désir ! » En fait, en 20 ans de relation, ils n’en ont jamais ouvertement discuté. Ce n’est visiblement pas un sujet de conversation. « Écoute, je ne sais pas, je ne sais pas si elle n’ose pas en parler, si elle ne ressent pas le besoin d’avoir de la sexualité souvent. En tout cas, si ça lui manque, elle ne le dit pas. »
Entre eux, c’est d’ailleurs évidemment tranquille de ce côté, même s’ils ont eu des enfants, on l’a dit. Ils font l’amour une fois ou deux par année, sans plus, et ce depuis 15 ans. « Je ne me plains pas ! »
Fin de l’histoire ? Tout le contraire. Car depuis 10 ans, Paul est en fait en relation polyamoureuse. « Mais je ne suis pas très actif ! », précise-t-il ici. Polyamoureux ? On peine à cacher notre surprise. En fait, c’est tout simple : malgré les années, il n’a jamais cessé de se poser des questions.
Il y a quelque chose d’obsessif dans la société au niveau de la sexualité, et j’ai encore comme un espoir de réveiller quelque chose, une curiosité, une volonté de continuer d’explorer, et peut-être trouver quelqu’un sur la même longueur d’onde…
Paul, fin quarantaine
Tout a commencé quand il a rencontré une autre femme, par le travail, un flirt qui a forcé un début de « réflexion » et de « discussion » avec sa conjointe, faut-il le préciser. « Et je pense que ça ouvrait une porte pour elle. » En tout cas, elle a vécu une aventure de son côté.
Quant à Paul, deux relations polyamoureuses plus tard, il a fini par se résigner : « Ça n’a rien réveillé, laisse-t-il tomber. J’en suis venu à la conclusion que je suis comme ça. » Sauf que ça n’est pas moins compliqué pour autant. Car si Paul aime « donner », donc, il constate que les femmes rencontrées dans ce contexte polyamoureux semblent toujours aussi déstabilisées par le déséquilibre impliqué. « Peut-être est-ce à cause de la vision qu’on nous renvoie de la sexualité dans la société ? On dirait que les femmes sont déstabilisées de recevoir sans donner. Ça ne passe pas toujours bien. […] Elles acceptent, OK, mais n’ont pas le goût du revenez-y… »
S’il est allé consulter ? Affirmatif. Mais ça n’a pas mené à grand-chose. Non, il ne se sent pas « asexuel ». Non, il n’a pas eu un « évènement » dans son enfance. « Je n’ai pas été agressé, je n’ai pas de problème de santé, soupire-t-il. Je ne cherche plus vraiment d’explication. Ça n’a pas d’importance… »
En gros, pour lui, le sexe : « C’est correct d’en avoir. Je suis content quand ça arrive. Mais je ne cours pas non plus après ça… Pour moi, la sexualité n’est juste pas si importante que ça. » D’ailleurs, savez-vous quoi ? « J’ai le feeling, des fois, que le sexe est overrated… » conclut-il.
*Prénoms fictifs, pour protéger leur anonymat
Auteur : Silvia Galipeau
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