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Derrière la porte | Louis* est trans, gai, et surtout kinky

La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Aujourd’hui : Louis*, 20 ans


Louis n’a que 20 ans, mais il a déjà un sacré parcours de vie à faire partager. Accrochez-vous, c’est un peu compliqué à résumer. Imaginez le vivre…

Pour vous donner une idée : « En tant qu’homme trans, homoflexible, polyamoureux et kinky, je pense avoir une méchante histoire à raconter », nous a-t-il écrit plus tôt ce mois-ci. Et il pouvait difficilement dire mieux.

On le rencontre un jeudi soir chez lui, en banlieue de Montréal, et Louis plonge d’entrée de jeu dans le vif du sujet. Avec ses cheveux noirs qui lui tombent dans les yeux, lui cachant au passage la moitié du visage, et ce collier de chien au cou, on comprend rapidement qu’on tient là effectivement une « méchante histoire », comme il dit.

Avant d’aller plus loin, et pour plus de clarté, une précision : Louis est donc un homme trans, c’est-à-dire à l’identité de genre masculine, assigné fille à la naissance. Sans surprise, on notera son souci du mot juste (et l’utilisation du pronom « on », comme s’il parlait au nom des trans en général, et non de lui seul en particulier), mais aussi, au bout du compte, une franche bonne humeur. Parce que si le début de son récit est certes plutôt douloureux, disons que la fin est drôlement plus joyeuse.

Pour commencer, il faut savoir que pendant son enfance, la question de l’identité de genre n’en est pas vraiment une pour Louis (qui ne s’appelle pas encore Louis à l’époque, on l’aura compris). C’est à la puberté que ça se corse. « Avant la puberté, on a tendance à ne pas y penser. On s’en fout un peu, on est juste des enfants. Alors qu’à l’adolescence, les rôles de genre sont plus clairs », explique-t-il. Et si ce rôle assigné à la naissance n’est pas celui auquel on s’identifie « en dedans », ça fait « vraiment mal », poursuit Louis.

Un exemple ? Son père insinue souvent des choses du type : « quand tu seras grande, et que tu auras un chum, etc. », se souvient-il. « Il tenait pour acquis, il assumait… » Et plus ça allait, plus ces présuppositions le tuaient. Littéralement. « Ç’a été la pire période de ma vie. Je sais que je suis jeune pour dire ça, mais je ne pouvais pas m’imaginer grandir. […] J’avais des idées suicidaires, je m’automutilais, c’est très fréquent chez les personnes trans. J’avais abandonné l’idée de me faire une vie. »

C’est en tombant sur des vidéos sur YouTube, il y a quelques années à peine, que Louis découvre l’existence de la transidentité. Il met un mot sur son malaise, et réalise qu’il n’est pas seul. « OK, j’ai le droit de me sentir comme ça ? […] Ça m’a sauvé la vie. »

À l’époque, autour de 16-17 ans, alors que Louis s’émancipe doucement dans son identité, il se ferme complètement dans sa sexualité. Il se croit asexuel. Comme si son cerveau avait fait une gymnastique pour le protéger du jugement, comprend-on. Parce que dans les faits, Louis a toujours été attiré par les hommes, glisse-t-il. « Mais je m’interdisais d’avoir une attirance, parce que je sentais que cela contredisait ma transidentité. »

Vous suivez ? En clair, Louis craint qu’en révélant qu’il aime les hommes, les gens fassent des raccourcis : « donc t’es juste une fille straight ! », pourquoi tout ce détour, quoi ?

Or, ça n’a rien à voir, poursuit-il.

Beaucoup de gens ne comprennent pas…

Louis, 20 ans

Tout le contraire : Louis est un homme trans, et il est plutôt gai. Même homoflexible : « Je suis attiré par le bleu, le mauve, mais pas le rose. »

Toujours est-il qu’à 17 ans, donc, Louis entame sa « transition sociale ». En gros : il change de pronom, de prénom, et s’habille enfin fièrement chez les hommes (à coup de plusieurs couches de chandails). Son père met un an à digérer la nouvelle, sa mère un peu moins. « Ç’a été dur pour tout le monde, mais je comprends. » Sauf ses frères, curieusement, qui n’en font pas grand cas.

À la même époque, Louis a un premier « partenaire », avec qui il est en couple à ce jour, une personne également « dans la diversité de genre » et « la non-binarité ». « Mais c’est vraiment plus romantique et non sexuel, précise Louis. C’est la nature de notre relation, comme un vieux couple ! » À noter qu’ils ne s’embrassent pas – « je suis germaphobe » –, et si vous voulez tout savoir, non, Louis ne se masturbe pas non plus. « C’est la dysphorie. Je suis tellement déconnecté de mon corps, j’en suis incapable. Il y a quelque chose de wrong, quelque chose que je vais devoir travailler toute ma vie… »

Fin de l’histoire ? Tout le contraire. Nous voici en fait à la partie la plus « fun » du témoignage, glousse-t-il tout à coup, puisqu’il y a environ un an, Louis a rencontré un deuxième « partenaire ». Oui, deuxième, parce qu’avec le premier, « on voyait bien que notre cerveau était ouvert à aimer plusieurs personnes ». Avec ce second partenaire, donc, coup de théâtre : « C’est beaucoup plus sexuel ! », éclate-t-il ici d’un petit rire coquin. « Je le trouve très hot ! »

Comment est-ce possible ? Avec la dysphorie et tout ? Alors voici : Louis trouve quelque part en cette deuxième personne un « match » parfait. En effet, ce dernier est pansexuel (sans attirance sexuelle spécifique à un genre) : « Différents types de corps, lui, il n’a pas de misère avec ça », indique Louis en souriant.

Mais encore ? « C’est le bout de ma méchante histoire », dit Louis en riant de plus belle. C’est qu’avec ce deuxième partenaire, Louis est en prime adepte de BDSM (bondage, domination/soumission et sadomasochisme), d’où le fameux collier dans le cou remarqué plus tôt. En clair, ils pratiquent des jeux de rôles, et alternent entre domination et soumission. Oui, Louis peut donner, ou recevoir, tant que ça ne touche pas à la génitalité, précise-t-il. « J’ai une bouche et des cuisses ! » Et son partenaire est en outre un peu maso, Louis sado. « Infliger de la douleur dans certaines conditions, si la personne aime ça, j’aime ça ! »

S’il y trouve du plaisir ? « Je dirais que oui, mais c’est surtout mental. […] J’ai du plaisir quand même. On fait ce qu’on peut avec ce qu’on a ! », répond-il en riant.

S’il est heureux ? « Oui, affirme-t-il en hochant de la tête. Je dirais que mes deux partenaires sont mes deux pôles. Ils répondent pas mal à tous mes besoins… »

À noter que si Louis a accepté de témoigner, c’est pour une raison très claire. « S’il y a juste un seul garçon trans quelque part qui peut lire ce témoignage et se dire : j’ai le droit de vivre, ça me rendrait heureux, déclare-t-il, avant de lancer dans l’univers : la police de l’existence ne va pas venir te chercher si tu décides de prendre tes propres décisions ou vivre ta vie, parce que c’est la tienne. Si tu ressens quelque chose, écoute-toi. Tu mérites d’être vivant », conclut-il en souriant.

*Prénom fictif, pour protéger son anonymat

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Auteur : Silvia Galipeau

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Cédric

Depuis 1998, je poursuis une introspection constante qui m’a conduit à analyser les mécanismes de l’information, de la manipulation et du pouvoir symbolique. Mon engagement est clair : défendre la vérité, outiller les citoyens, et sécuriser les espaces numériques. Spécialiste en analyse des médias, en enquêtes sensibles et en cybersécurité, je mets mes compétences au service de projets éducatifs et sociaux, via l’association Artia13. On me décrit comme quelqu’un de méthodique, engagé, intuitif et lucide. Je crois profondément qu’une société informée est une société plus libre.

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