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Derrière la porte | Solitudes et dépendances

La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Aujourd’hui : Sam*, mi-trentaine.


« Non, tout le monde n’a pas baisé à l’adolescence. »

Tout le monde n’a pas « baisé » non plus dans sa vingtaine. Ni forcément trop trop dans sa trentaine. C’est du moins le cas de Sam*, qui s’est du coup réfugié dans une spirale de consommation et de pornographie, dont il peine à se sortir aujourd’hui.

« J’ai déjà pensé écrire un livre intitulé L’art de ne pas baiser. » Il nous a écrit un texte-fleuve pour témoigner de cette solitude, plus tôt cet hiver. On se rencontre virtuellement, distance oblige, pour voir apparaître à l’écran ce trentenaire qui correspond assez rigoureusement aux standards de beauté : traits dessinés, mâchoire carrée, verbe facile, avec un soupçon d’autodérision. La conversation coule de source.

« J’ai été seul toute ma vie, à part à quelques rares exceptions, débute-t-il sans se faire prier. Je constate aussi qu’on est plusieurs, des personnes de mon âge, à pas trop savoir comment ça marche… » Comment « ça » marche ? « La partie cruise », poursuit-il. « Elle n’est comme pas dans mon cerveau, on dirait », rit-il.

C’est un peu comme quand tu postules pour un emploi et qu’on te demande cinq ans d’expérience. Où tu la prends, l’expérience ?

Sam, mi-trentaine

Si son adolescence est un désert, donc – « alors que tout le monde l’a fait vers 14, 15, 16 » –, il vit tout de même un premier rapprochement, plus ou moins avorté, à 19 ans, « l’âge d’un papi ». Pourquoi avortée ? « C’était une fin de soirée, post-beuverie, j’ai été malade, et ça ne s’est pas super bien passé. Non, ce n’était pas champion comme conditions », convient-il, en riant toujours.

Il vit ensuite une relation à distance, mais encore là, habitant chez ses parents, les explorations sont limitées. Même topo début vingtaine. En gros : « Je n’ai jamais eu de vraie relation de couple. »

Et plus le temps passe, plus ça se complique pour rencontrer, poursuit-il. « J’ai comme l’impression qu’il faut hacker un code de trucs à faire ou ne pas faire, illustre-t-il. Ou bien attendre le moment parfait qui n’arrive jamais… »

S’il se sent frustré ? Sam prend tout à coup un long détour pour parler de sa consommation en général – « pour avoir du fun avec mes amis » – et de cannabis en particulier. « J’ai découvert récemment que j’étais dépendant, dit-il. Tu t’en rends compte 10 ans après… » Quel rapport ? « Le cannabis peut te donner un petit effet aphrodisiaque. » Et puis ? « Et puis, je me suis mis à consommer de la porno, laisse-t-il tomber. Et à un moment donné, d’une petite affaire de temps en temps, ça devient quelque chose que tu fais tous les jours, deux fois par jour… » Nous y voici.

Ceci explique cela ? Toujours est-il qu’en se tournant ainsi vers un écran, Sam réduit d’autant ses occasions de rencontrer. Et de développer des habiletés pour cruiser. Ce n’est pas nous qui le disons, mais lui. Et il a de toute évidence beaucoup réfléchi à la question.

Il y a un danger : ça devient trop facile. Je ne vais pas en soirée, ni rencontrer du monde. Je vais juste avoir mon fix, puis mon buzz. L’été, au lieu d’aller prendre un verre sur une terrasse avec des amis, je rentre chez moi pogner mon fix.

Sam, mi-trentaine

« Et c’est sûr qu’à faire ça des années, il y a des expériences que tu n’as pas acquises. Tu es comme en retard sur ton développement, parce que tu es allé chercher ta réponse satisfaisante trop facilement… »

Ça devient carrément « compulsif », poursuit-il. « Une vidéo, ça n’est plus assez, ça en prend des dizaines et des dizaines… »

À noter que début trentaine, Sam finit par rencontrer une fille, polyamoureuse certes, mais avec qui il entretient tout de même un semblant de relation un temps. Et sexuellement, enfin, il s’épanouit.

« C’était tout nouveau pour moi, mais comme il n’y avait pas de possession, c’était quelque chose de libre. L’important n’était pas notre plaisir, mais plus de donner du plaisir à l’autre. » Ensemble, ils explorent « toutes sortes d’affaires » sourit-il, et développent un véritable « magnétisme ». Et comment ça se compare à une vidéo porno, ose-t-on ? « Je sentais mon corps, répond franchement Sam. Il y avait quelque chose d’affectif que tu n’as pas dans la masturbation. Et c’est cette relation à l’autre qui est le plus satisfaisant. »

Sauf que l’histoire ne dure pas et depuis, Sam n’a rien vécu de significatif.

À noter qu’il a voulu consulter un sexologue, sans succès. « Ça n’a pas donné grand-chose. Le sexologue était sexopositif. Je ne sais pas si le mot existe. Pour lui, le porno, c’est de la découverte. Mais ce n’est pas ça. Moi, c’est de la compulsion ! J’ai le même rapport à la sexualité qu’une drogue, avance-t-il. Ça ne m’a rien apporté. Je dirais que ça a bloqué mon développement. »

Il en sait quelque chose. « C’est comme si tu deviens juste excité par ce que tu es habitué de voir, poursuit-il, des trucs irréalistes pour la plupart. » Un exemple ? « Des filles qui essayent des bikinis. Mais une fille dans un bar, elle n’est pas en train d’essayer des bikinis ! Sauf que la fille dans l’écran, tu n’as pas à entrer en relation avec elle, tu as juste à t’autosatisfaire. Alors c’est comme si, avec le temps, ton cerveau te dit : la fille dans un bar, c’est trop de travail, ça ne me tente pas ! »

Quelque chose de naturellement plaisant devient une tâche chiante !

Sam, mi-trentaine

Aujourd’hui, Sam tente de réduire sa consommation. Objectif : pas de porno pendant 90 jours. Jusqu’à présent, il a tenu trois jours et se limite plus ou moins à une fois par semaine (et surtout une fois par jour).

Le constat est brutal, lui fait-on remarquer. Et Sam le sait. « Ça m’apporte du regret, dit-il. Il y a de quoi que je n’ai pas pigé à la réalité. Pas pigé à l’existence. Je récolte le fruit de mon erreur. »

Sauf qu’il sait qu’il n’est pas seul. « Il y a beaucoup de gars de mon âge, ou plus jeunes, qui sont seuls depuis longtemps. J’imagine qu’eux aussi sont pognés dans cet engrenage. Quand tu n’es pas en relation, tu as quand même des besoins. »

Si c’était à refaire, Sam passerait son tour, ajoute-t-il sans hésiter. « Si je pouvais retourner à mes 12 ans, avec toute cette information que j’ai maintenant, je ne retournerais jamais à ça. Je préférerais me péter la gueule à faire le clown. Et vivre ma vie… »

*Prénom fictif, pour protéger son anonymat.



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Auteur : Silvia Galipeau

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Cédric

Depuis 1998, je poursuis une introspection constante qui m’a conduit à analyser les mécanismes de l’information, de la manipulation et du pouvoir symbolique. Mon engagement est clair : défendre la vérité, outiller les citoyens, et sécuriser les espaces numériques. Spécialiste en analyse des médias, en enquêtes sensibles et en cybersécurité, je mets mes compétences au service de projets éducatifs et sociaux, via l’association Artia13. On me décrit comme quelqu’un de méthodique, engagé, intuitif et lucide. Je crois profondément qu’une société informée est une société plus libre.