L’androphobie désigne une peur ou une méfiance excessive envers les hommes. Elle peut être le fruit d’expériences traumatisantes individuelles, mais elle s’inscrit aussi dans un contexte sociétal marqué par des violences sexistes et des inégalités persistantes. Comment s’installe-t-elle et quelles peuvent être ses conséquences ? On fait le point avec Estelle Bayon, psychopraticienne spécialisée dans les violences sexistes et sexuelles.
Définition : qu’est-ce que l’androphobie ?
En théorie, l’androphobie, du grec andros (homme) et phobos (peur), désigne une anxiété disproportionnée en présence d’individus masculins. Elle se distingue de l’anthropophobie, qui désigne une peur généralisée des êtres humains, et non spécifiquement des hommes.
Cette phobie n’est pas répertoriée dans les classifications psychiatriques comme le DSM-5 (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux) ou la CIM-11 (Classification internationale des maladies). Elle est rarement diagnostiquée en tant que telle et est bien plus souvent mentionnée pour désigner le rejet des hommes, notamment dans les discours anti-féministes qui cherchent à inverser les rapports de domination.
L’androphobie n’a pas d’ancrage historique en tant que structure oppressive, contrairement à la misogynie qui est associée à une longue histoire de discrimination systémique envers les femmes. Estelle Bayon.
Quelles différences avec la misandrie ?
L’androphobie fait référence à une multitude de comportements, allant d’une simple appréhension à une panique incontrôlable en passant par l’évitement systématique des hommes. « Elle est souvent présentée comme un trouble individuel et irrationnel, ce qui culpabilise les personnes concernées », regrette Estelle Bayon. Pourtant la peur des hommes semble beaucoup plus rationnelle que celle des fourmis (myrmécophobie) ou de certains fruits (carpophobie)…
La misandrie, elle, est un concept social plus politisé qui désigne une certaine hostilité à l’égard des hommes, justifiée par des considérations idéologiques, culturelles ou historiques. « C’est un positionnement conscient qui peut être motivé par les mêmes appréhensions que l’androphobie, et rejette intentionnellement les hommes en tant que groupe », explique Estelle Bayon. Elle s’inscrit donc dans un cadre plus large de rapports sociaux et de dynamiques de pouvoir.
Les femmes ne sont pas les seules concernées !
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’androphobie ne concerne pas exclusivement les femmes. Les hommes aussi peuvent être concernés : indépendamment du genre, ce trouble résulte généralement de traumatismes passés, comme des violences ou des abus, mais aussi de pressions sociales qui associent la masculinité à la domination ou à l’agressivité (ce que l’on appelle la masculinité toxique).
Causes : d’où vient cette peur envahissante et généralisée des hommes ?
La peur envahissante des hommes que l’on associe à l’androphobie trouve ses racines dans des expériences personnelles, des constructions sociales et des dynamiques culturelles profondément ancrées.
Pour certaines personnes, elle découle directement de traumatismes passés. Une personne ayant vécu des violences physiques, sexuelles ou psychologiques de la part d’hommes (abus, harcèlement, violences conjugales) peut développer une méfiance généralisée envers les hommes, renforcée par un trouble de stress post-traumatique.
Mais cette méfiance ne se limite pas aux seules victimes directes : « le concept de trauma indirect, développé par la psychologue américaine Maria Root, explique comment le fait d’appartenir à un groupe social régulièrement exposé à la violence d’un autre groupe peut engendrer un climat anxiogène et une perception accrue du danger », indique Estelle Bayon. La répétition de récits d’agressions dans l’entourage ou dans les médias alimente ainsi une forme de stress chronique.
Par ailleurs, les modèles de masculinité toxique, la domination masculine et les rapports de pouvoir renforcent cette peur en inscrivant la menace dans un contexte systémique.
Pour de nombreuses personnes, la méfiance envers les hommes est avant tout un mécanisme de défense, une réponse à un monde où les inégalités et les violences de genre restent omniprésentes. Estelle Bayon.
L’androphobie, une peur aux conséquences plus ou moins invalidantes…
Vous l’aurez compris, l’impact de l’androphobie varie d’une personne à l’autre. Certaines vont ressentir une simple méfiance, tandis que d’autres éprouveront une véritable panique susceptible d’affecter leur vie personnelle, professionnelle et sociale. Elles peuvent par exemple :
- Avoir des difficultés à travailler ou à étudier dans un environnement mixte.
- Éprouver une peur constance face aux hommes, même en contexte sécurisé.
- Se sentir isolées et ne pas réussir à entretenir des relations amicales, amoureuses ou même familiales.
- Être en proie à des troubles du sommeil ou à une anxiété généralisée. Des symptômes invalidants qui peuvent affecter la qualité de vie.
- Faire face à un sentiment de honte, de culpabilité ou d’incompréhension vis-à-vis de leur peur, ce qui peut entraîner une baisse de l’estime de soi et une dévalorisation personnelle.
« Ces symptômes nécessitent un accompagnement adapté pour ne pas devenir trop envahissants, idéalement dans une approche féministe. En tout, cas dans une approche qui ne pathologise pas cette « phobie » qui n’en est pas vraiment une. Une psychothérapie, notamment cognitivo-comportementale (TCC), peut aider à identifier l’origine de l’anxiété et à mieux vivre au quotidien. Des séances d’EMDR peuvent aussi être utiles en cas de traumatisme passé. Sans oublier l’hypnose et les techniques de relaxation ou de gestion du stress, comme la sophrologie et la méditation », propose Estelle Bayon.
Phobie des hommes : ce concept est-il vraiment judicieux ?
L’androphobie existe-t-elle vraiment ? Voilà une question qui divise. Si l’on s’en tient à la définition stricte d’une phobie – une peur irrationnelle et disproportionnée –, alors considérer l’androphobie comme une véritable pathologie semble problématique. Pour cause ? La méfiance et la peur des hommes ne naissent pas d’une angoisse infondée, mais bien d’un contexte marqué par le sexisme, les violences et les discriminations systémiques.
Une peur rationnelle plutôt qu’une phobie
« Contrairement aux phobies classiques (comme l’arachnophobie ou la claustrophobie), qui ne s’expliquent pas forcément par un vécu traumatique, la peur des hommes s’enracine généralement dans des expériences concrètes : harcèlement, agressions, violences sexuelles, etc. Dans ce cas, peut-on vraiment parler de « phobie », qui implique une peur irrationnelle ? Pour beaucoup, cette peur est au contraire parfaitement logique et légitime » relève Estelle Bayon.
Asymétrie structurelle et stratégie d’auto-défense
L’androphobie est souvent présentée comme le pendant de la misogynie. Or, historiquement, les discriminations de genre ont toujours été à sens unique : la misogynie est une idéologie soutenue par des structures de pouvoir qui, depuis des siècles, dévalorisent, dominent et oppriment les femmes, insiste l’experte. L’androphobie, peut exister sur le plan individuel (certaines femmes peuvent avoir une aversion marquée pour les hommes), mais ne repose sur aucun système institutionnalisé visant à exclure ou à discriminer les hommes en tant que groupe.
L’androphobie et la misandrie naissent en réponse au sexisme et à la mysoginie – et pas l’inverse. Estelle Bayon.
L’androphobie relève davantage d’une stratégie d’évitement, que d’une véritable hostilité. Une femme qui refuse de marcher seule la nuit ou qui préfère éviter les interactions avec des hommes ne le fait pas par haine, mais par prudence. Cette réaction est une conséquence directe des violences sexistes et non une phobie irrationnelle. À l’inverse, la gynophobie – la « phobie » des femmes – tend plutôt à générer des comportements hostiles ou violents, relève l’experte.
Une instrumentalisation regrettable du terme…
Enfin, l’androphobie est parfois utilisée comme un argument pour discréditer les luttes féministes. Accuser les femmes de misandrie ou d’androphobie permet de détourner l’attention des inégalités systémiques dont elles sont victimes. C’est une manière de remettre en cause leur parole, comme si la peur du sexisme était une exagération ou une pathologie, plutôt qu’une réaction logique à une réalité bien tangible. Et Estelle Bayon d’insister : « Les hommes ne s’empêchent pas d’aller courir lorsque la nuit tombe parce qu’ils ont peur de croiser une femme au détour d’une rue déserte ».
En résumé, le terme d’androphobie doit être manié avec précaution. S’il est linguistiquement valide, il est souvent utilisé de manière abusive et ne peut en aucun cas être mis un pied d’égalité avec la misogynie. Dans la lutte pour l’égalité des genres, il est essentiel de recentrer le débat sur les véritables discriminations et de ne pas laisser des concepts flous détourner l’attention des enjeux réels !
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