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Misophone : pourquoi certains sons rendent fou ?

Vous ne supportez pas d’entendre quelqu’un mâcher bruyamment à côté de vous ? Une respiration un peu trop forte vous irrite au plus haut point ? Cette intolérance à certains sons du quotidien porte un nom : la misophonie. Longtemps ignorée, elle commence à être mieux connue, tant par les professionnels de santé que par la recherche. Ce trouble n’est pas à minimiser et peut avoir un véritable impact sur la qualité de vie, les relations sociales, et la santé mentale.

Définition : qu’est-ce que la misophonie ?

La misophonie est un trouble neuropsychologique caractérisé par une réaction émotionnelle disproportionnée à certains sons spécifiques, souvent d’origine humaine et répétitifs. Il peut s’agir, par exemple, du bruit de mastication, de la respiration ou du clic d’un stylo. Les émotions ressenties sont généralement de la colère, de l’irritabilité, du dégoût, de l’anxiété, voire de la panique.

Certaines personnes ne peuvent s’empêcher de réagir avec agressivité envers l’émetteur du bruit. D’autres se sentent incapables de sortir de chez elles sans porter un casque audio ou des protections antibruit. Pour ces raisons, ce trouble peut s’avérer véritablement handicapant. Mélissa Gaucher, psychothérapeute.

Il ne s’agit pas d’un trouble auditif, car l’audition des personnes atteintes est normale. Ce trouble s’expliquerait par des dysfonctionnements neurologiques, avec des répercussions psychologiques. En raison de ses manifestations émotionnelles, la misophonie est souvent prise en charge en psychiatrie.

Bien qu’elle ne soit pas répertoriée dans le DSM-5 (le manuel de référence en psychiatrie), certains experts plaident pour qu’elle soit incluse dans les éditions futures (source 1). “La misophonie est fréquemment associée à d’autres troubles bien identifiés, tels que l’anxiété, les troubles obsessionnels compulsifs (TOC), les troubles du spectre autistique (TSA) (source 5), ou encore les troubles dépressifs”, selon l’experte Mélissa Gaucher.

Le mot « misophonie » vient du grec misos (haine) et phōnē (son). Il signifie littéralement « haine du son » et a été introduit dans les années 2000 par deux neuroscientifiques, Margaret et Pawel Jastreboff, pour désigner cette intolérance sonore spécifique.

La misophonie n’est pas une peur du bruit (ou phonophobie)

“La misophonie se distingue de la phonophobie, qui est la peur intense (parfois accompagnée de panique) de certains bruits forts”, d’après la psychothérapeute Melissa Gauche. Il peut s’agir de klaxons, de cris ou d’explosions. La phonophobie est reconnue par la psychiatrie comme un symptôme de certains troubles, tels que les troubles anxieux, le trouble du spectre autistique ou encore les troubles de l’humeur. Certaines personnes migraineuses peuvent également développer une phonophobie en raison de leur hypersensibilité accrue aux bruits forts.

La misophonie n’est pas une hypersensibilité au bruit (ou hyperacousie)

Bien que les deux troubles affectent la perception des sons, la misophonie est une réaction émotionnelle excessive à certains bruits, tandis que l’hyperacousie correspond à une hypersensibilité générale aux sons, perçus comme plus forts et envahissants.

“Contrairement à la misophonie, l’hyperacousie n’est pas liée à une appréhension des sons, mais à un trouble du traitement auditif dans le cerveau”, nuance Mélissa Gaucher. Elle peut résulter de traumatismes sonores ou de troubles neurologiques, et nécessite parfois une prise en charge psycho-comportementale.

À noter que la misophonie peut être parfois associée à une hyperacousie et.ou à une phonophobie, même si ces troubles relèvent de mécanismes physiopathologiques différents. Les personnes souffrant du trouble du spectre autistique peuvent présenter un ou plusieurs de ces troubles.

Acouphènes : existe-t-il une association ?

Les acouphènes sont différents de la misophonie, car ils se manifestent par des bruits internes perçus dans les oreilles, souvent dus à des dommages à l’oreille interne (comme une exposition prolongée à des bruits forts).

Cependant, des recherches récentes montrent que les personnes souffrant d’acouphènes pourraient être plus susceptibles de développer de la misophonie, en raison de leur sensibilité accrue aux sons. Cette hypersensibilité, combinée à l’anxiété générée par les acouphènes, peut aggraver la perception des bruits du quotidien et déclencher des réactions émotionnelles intenses telles que la colère ou le stress face à certains sons. En effet, environ 10 % des personnes souffrant d’acouphènes présentent également des symptômes de misophonie.

Causes : qu’est-ce qui provoque la misophonie ?

Les causes exactes de la misophonie ne sont pas encore clairement établies, mais plusieurs pistes sont explorées par les chercheurs. Il semble que ce trouble résulte d’une interaction complexe entre des facteurs psychologiques, génétiques, neurologiques et environnementaux.

  • Facteur psychologique : c’est la piste la plus probable, selon beaucoup de chercheurs. Un terrain anxieux, une forte sensibilité émotionnelle et sensorielle pourraient expliquer l’apparition de la misophonie. Pour certains cliniciens, ces éléments jouent un rôle déclencheur, la réaction au son devenant au fil du temps conditionnée et de plus en plus automatique. Ceci expliquerait d’ailleurs pourquoi ce trouble est souvent associé à certains troubles psychiatriques comme les troubles anxieux ou certains troubles neurodéveloppementaux.
  • Facteurs génétiques : certains chercheurs évoquent une composante héréditaire, en raison de la fréquence accrue du trouble dans certaines familles. Cette piste reste toutefois encore peu documentée.
  • Facteurs environnementaux : une exposition répétée à des sons désagréables ou stressants durant l’enfance pourrait également contribuer au développement de la misophonie, notamment en renforçant des associations négatives entre certains bruits et des émotions pénibles.
  • Facteurs neurologiques : des études en neuro-imagerie suggèrent une hyperconnectivité entre les aires auditives et les régions du cerveau impliquées dans la gestion des émotions, notamment le cortex insulaire antérieur. Une étude britannique de 2017 a montré que cette région s’activait de manière excessive chez les personnes souffrant de misophonie, en particulier face aux sons déclencheurs (source 2). Cependant, il reste difficile de déterminer si cette activité cérébrale est la cause ou la conséquence du trouble. Il est possible que le cerveau des personnes atteintes réagisse de manière disproportionnée à certains sons car ceux-ci sont interprétés comme une « menace émotionnelle ».

Qui sont les profils qui ne supportent pas le bruit ?

La misophonie peut toucher tout le monde, mais certains profils semblent plus exposés :

  • Les personnes atteintes d’anxiété ou de dépression
  • Les patients souffrant de troubles obsessionnels compulsifs (TOC)
  • Les personnes diagnostiquées d’un trouble du neurodéveloppement : autisme (TSA), TDAH
  • Les patients atteints du syndrome Gilles de la Tourette
  • Les enfants exposés à des environnements bruyants ou stressants

À noter : la science ne sait pas encore si ces troubles sont responsables de la misophonie ou s’ils partagent une même vulnérabilité cérébrale et émotionnelle. Mais leur présence est à prendre en compte dans l’évaluation clinique.

Quels sont les symptômes de la misophonie ?

Les réactions varient d’un patient à l’autre, mais les symptômes les plus fréquents incluent :

  • une irritation, une colère, un dégoût ou une anxiété immédiate face à des sons déclencheurs comme mâcher bruyamment de la nourriture ou du chewing-gum, tousser, respirer bruyamment, taper sur un clavier d’ordinateur, des raclements de gorge, l’aspiration d’un liquide, etc.). Cette émotion désagréable et vive est persistante plusieurs minutes même si le son s’arrête. Elle est croissante si le son persiste ;
  • un besoin urgent de fuir ou de faire cesser le son ;
  • une agressivité envers la personne qui émet le son ;
  • des difficultés de concentration ou à se détendre en présence de ces sons.

Il peut aussi y avoir des réactions physiques comme l’accélération de la fréquence cardiaque, tension musculaire, sueurs…. Tous signes entraînent une gêne sociale croissante, allant jusqu’à l’isolement. Melissa Gaucher.

Comment est posé le diagnostic de la misophonie ?

Il n’existe pas encore de protocole officiel pour le diagnostic de la misophonie. Le diagnostic repose sur un entretien clinique, au cours duquel le patient décrit les sons qui déclenchent sa réaction, les émotions ressenties, et l’impact sur sa vie quotidienne.

Des échelles d’évaluation spécifiques, comme le MisoQuest ou l’Amsterdam Misophonia Scale, permettent d’en évaluer la sévérité.

De nouveaux tests psychoacoustiques, développés par des chercheurs de l’IHU reConnect à Lyon, pourraient bientôt permettre de mieux objectiver ce trouble.

“Néanmoins, ces tests ne sont pas exhausitfs et ne peuvent pas se passer d’un entretien clinique complet. Le diagnostic est confirmé par un médecin psychiatre”, selon l’experte.

Qui consulter ?

Un avis d’ORL ou de neurologue peut parfois être utile pour éliminer d’autres causes, comme l’hyperacousie ou un autre trouble auditif ou neurologique. Par ailleurs, certaines études récentes soulignent l’importance d’une évaluation audiologique dans le parcours diagnostique, suggérant que les ORL ont toute leur place dans l’approche de la misophonie, en particulier pour différencier le trouble d’autres hypersensibilités auditives (hyperacousie, acouphènes, etc.). La prise en charge est ensuite assurée par un psychothérapeute (psychologue, psychiatre) spécialisé (source 3).

Traitement : comment soigner la misophonie ?

Il n’existe pas de traitement spécifique de la misophonie. La prise en charge repose essentiellement sur une psychothérapie adaptée, souvent assurée par un thérapeute spécialisé.

“La thérapie cognitive et comportementale (TCC) ainsi que la désensibilisation par exposition au son sont aujourd’hui les plus utilisées. Ces thérapies visent à désensibiliser progressivement aux sons déclencheurs, à modifier les pensées négatives associées, et à mieux réguler les émotions”, selon Melissa Gaucher, psychothérapeute. Des approches complémentaires peuvent renforcer son efficacité : pleine conscience (mindfulness), hypnose, techniques de relaxation, etc.

Un des enjeux majeurs de la TCC est d’éviter les stratégies et comportements d’évitement, comme fuir les lieux publics ou porter en permanence des écouteurs. Si ces solutions semblent apaisantes sur le moment, elles risquent à long terme de renforcer l’intolérance et d’entraîner une aggravation progressive des symptômes ainsi qu’un isolement social. Préserver ses activités sociales est prépondérant.

Il est également utile d’en parler à ses proches, de leur expliquer la gêne ressentie face à certains sons. Cela permet de se sentir mieux compris, soutenu, et d’éviter les malentendus.

Enfin, si des troubles associés (anxiété, dépression, TSA…) sont présents, des médicaments peuvent être prescrits (anxiolytiques ou antidépresseurs), toujours en complément d’un suivi psychothérapeutique.

Des techniques comme la stimulation magnétique transcrânienne (rTMS) ou la stimulation transcrânienne à courant direct (tDCS), déjà utilisées dans la dépression ou les acouphènes, commencent à être explorées dans la misophonie (source 4).


Sources

Auteur :

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Cédric

Depuis 1998, je poursuis une introspection constante qui m’a conduit à analyser les mécanismes de l’information, de la manipulation et du pouvoir symbolique. Mon engagement est clair : défendre la vérité, outiller les citoyens, et sécuriser les espaces numériques. Spécialiste en analyse des médias, en enquêtes sensibles et en cybersécurité, je mets mes compétences au service de projets éducatifs et sociaux, via l’association Artia13. On me décrit comme quelqu’un de méthodique, engagé, intuitif et lucide. Je crois profondément qu’une société informée est une société plus libre.