Pourquoi il faut arrêter de parler de « syndrome de glissement » chez nos aînés ?
L’expression « syndrome de glissement » évoque la dégradation rapide, progressive et en apparence irréversible d’une personne âgée. Un jour, elle ne mange plus. Le lendemain, elle reste alitée. Les mots se font rares, les gestes absents. En quelques jours ou semaines, son état se détériore et elle semble « glisser » vers la mort, sans raison apparente. Un tableau inquiétant largement évoqué en milieu hospitalier ou en EHPAD (établissement pour personnes âgées dépendantes)… Pourtant ce “diagnostic” cristallise une vision simpliste, passive, et dangereusement fataliste du vieillissement. S’il était temps de déconstruire cette notion pour mieux accompagner les personnes âgées en perte d’autonomie ? Gilles Berrut, gériatre au CHU de Nantes et ancien président de la Société Française de Gériatrie et Gérontologie (SFGG), nous éclaire.
Définition : qu’est-ce que le syndrome de glissement ?
Le syndrome de glissement est un concept essentiellement utilisé en France, pour décrire une dégradation rapide de l’état général d’une personne âgée, souvent après un événement déclencheur comme une hospitalisation, une chute, un deuil ou un changement de lieu de vie (choc émotionnel). Mais cette notion pose problème…
Sur le plan médical, le syndrome de glissement n’a pas de fondement scientifique : il n’existe ni marqueur biologique, ni critère diagnostique strict. Le terme n’est d’ailleurs pas reconnu dans les classifications internationales comme le DSM-V (psychiatrie) ou la CIM-11 (classification des maladies de l’OMS). “Ce flou en fait un terme commode… Et dangereux, car il évite de se poser les bonnes questions”, alerte le Pr Berrut.
Un diagnostic de renoncement
Le diagnostic de syndrome de glissement cache souvent un sentiment d’impuissance, voire une forme de résignation thérapeutique. « Dire qu’un patient glisse, c’est parfois arrêter de chercher ce qui le fait souffrir. Et inconsciemment, c’est parfois cesser de soigner », prévient le spécialiste.
Le terme est trompeur : il évoque une pente inéluctable, un processus irréversible, presque naturel. Il donne l’illusion d’un diagnostic… Mais sans conduite à tenir, sans démarche diagnostique et sans traitement. Pire, il peut justifier l’abandon des soins sous couvert d’humanité : « la personne a décidé de mourir, laissons-la partir tranquillement ». On cesse de proposer, on cesse d’espérer. Et parfois, on cesse trop vite de soigner : moins d’examens, moins de traitements, moins d’efforts pour stimuler ou soulager.
« Le vrai danger, c’est qu’en nommant la situation, on croit l’avoir comprise. Mais ce mot peut masquer une paresse diagnostique, une forme de renoncement. Cette appellation empêche parfois de poser les bonnes questions : pourquoi la personne ne mange plus ? Qu’a-t-elle vécu ? De quoi a-t-elle besoin ? », souligne le Pr Berrut.
Dans certains cas, pourtant, le « glissement » est réversible, à condition d’en identifier les causes. Utiliser ce terme comme un diagnostic revient à priver les personnes âgées de toute chance de récupération. Pr Gilles Berrut, gériatre.
Quels sont les signes généralement associés au syndrome de glissement ?
Les signes cliniques associés au syndrome de glissement sont nombreux, souvent discrets au départ, mais leur association et leur évolution rapide doivent alerter :
- Un refus de s’alimenter ou de boire, souvent sans plainte ni revendication, comme un abandon silencieux.
- Un repli sur soi, une perte d’intérêt pour les interactions, un mutisme progressif, et parfois un désintérêt pour l’hygiène personnelle.
- Une immobilité croissante, la personne reste alitée, ne manifeste plus le désir de se lever ou de marcher, et ne participe plus aux activités de la vie quotidienne.
- Une perte de poids rapide, associée à une fonte musculaire accélérée (sarcopénie) qui entraîne une faiblesse généralisée et une dépendance fonctionnelle importante.
- Une altération de l’état de conscience pouvant aller d’une simple confusion à une vigilance très fluctuante, avec des épisodes de mutisme, de somnolence, voire d’apathie profonde.
- Des troubles du sommeil associés à une perte de rythme veille-sommeil, une désorientation temporo-spatiale, et une perte de repères corporels et environnementaux. Le lien avec la réalité semble se distendre jour après jour.
- Un désengagement global, avec un retrait de toutes les stimulations extérieures : plus de télévision, plus de musique, plus d’intérêt pour les repas, les soins ou les événements du quotidien. La personne ne réagit plus, comme s’il se déconnectait progressivement de la vie.
- Et une évolution vers la grabatisation, voire le décès rapide, en quelques jours à quelques semaines.
Ces signes, bien que variés et parfois discrets à leurs débuts, traduisent une altération globale de la personne âgée, à la fois physique, psychique et émotionnel. Mais ils n’apparaissent jamais par hasard !
Syndrome de glissement : des causes souvent multiples… Et surtout évitables !
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le syndrome de glissement a plusieurs causes sous-jacentes, souvent multiples, intriquées, mais bien identifiables :
- une dépression du grand âge, masquée ou non verbalisée ;
- des douleurs chroniques, que le patient ne parvient pas à exprimer ;
- des troubles cognitifs, comme un début de démence ou une confusion aiguë ;
- des infections (infections urinaires, infections pulmonaires) atypiques, parfois sans fièvre ;
- les effets secondaires de médicaments (cause iatrogène), fréquents chez les personnes polymédiquées ;
- un isolement affectif, une perte de repères, un changement brutal d’environnement, etc.
Tous ces éléments peuvent conduire à un effondrement physique et psychique. Et chacun d’eux mérite une prise en charge adaptée. Dans bien des cas, on peut rétablir un équilibre, voire permettre une rémission, assure le Pr Berrut.
En gériatrie, comme dans toute discipline médicale, chaque symptôme doit être interprété comme un signal d’alarme. Les patients sont souvent en souffrance, physique ou psychique : il est essentiel de poser un diagnostic précis et individualisé. Pr Gilles Berrut.
Un regard âgiste sur la vieillesse…
Le syndrome de glissement dit beaucoup de notre société et de notre vision de la vieillesse. “Trop souvent, on justifie la détresse des aînés par des phrases toutes faites, comme : “c’est de son âge”, “il ou elle se laisse aller”, “il ou elle a fait son temps”. Toutes traduisent en réalité une banalisation de la souffrance des aînés, regrette le Pr Berrut. Et d’insister : “Cette posture passive nie la complexité du sujet âgé. Or, même malade, même dépendante, une personne âgée reste digne d’attention, capable de désir, de douleur, de révolte, de joie – à condition qu’on prenne le temps de l’écouter”.
Le traitement : repenser l’accompagnement des personnes âgées en détresse
Selon le Pr Berrut, il est temps de changer de regard, de repenser notre accompagnement, et de réaffirmer une évidence : vieillir n’est pas renoncer.
Identifier les signaux d’alerte : poser le bon diagnostic
La première étape est de repérer les signes précoces de repli. Devant une perte d’appétit, une apathie soudaine ou un refus de soins, il faut s’interroger : la personne souffre-t-elle ? A-t-elle mal quelque part ? Est-elle en deuil, confuse, isolée, ou privée de repères ?
Ce repérage doit s’inscrire dans une démarche clinique rigoureuse : examen complet, écoute des aidants, bilan biologique de première intention (natrémie, calcémie, glycémie, TSH, créatininémie…), évaluation gériatrique globale (état nutritionnel, cognition, douleurs, environnement, dépression…), précise le Pr Berrut.
Comment soigner le syndrome de glissement ? Et sortir de l’inaction ?
Soigner une personne âgée en repli, ce n’est pas seulement soigner son corps. C’est l’aider à donner du sens à ce qu’elle vit, lui redonner un projet, des repères, du lien. Cela passe par une approche pluridisciplinaire et bienveillante, mobilisant gériatre, psychologue, aide-soignant(e), infirmier(e), kinésithérapeute, ergothérapeute, diététicien (ne)…
Recréer du lien humain
- Une présence régulière et rassurante.
- L’appel au prénom, le toucher apaisant, le regard bienveillant.
- L’implication des proches pour réancrer la personne dans le réel.
Proposer des soins individualisés et doux
- Respecter les rythmes des patients.
- Servir de petites portions savoureuses pour relancer l’appétit.
- Soigner l’image de soi : toilettes valorisantes, vêtements choisis avec soin, coquetterie retrouvée.
Redonner un sens au quotidien
- Offrir des activités simples mais significatives : musique, promenades, jeux, discussions…
- Réveiller la mémoire affective, les désirs enfouis, la joie de partager.
Soigner aussi le psychisme
- Proposer un suivi psychologique, même en institution.
- Ne pas hésiter à envisager un traitement antidépresseur si nécessaire.
- Soutenir la personne dans son histoire, ses pertes, son deuil, sans jamais la réduire à un âge ou un symptôme.
Ne jamais renoncer à accompagner les personnes âgées !
La qualité de l’accompagnement fait toujours la différence, surtout en fin de vie. Lorsqu’une personne entre en phase de pré-agonie ou d’agonie, le confort prime et les soins palliatifs prennent tout leur sens.
“Mieux vaut appeler un chat un chat : quand la fin de vie approche, il faut savoir la nommer et adapter l’accompagnement en conséquence. Cela permet de respecter la dignité de la personne, mais aussi de lui éviter des traitements inutiles et souvent lourds”, note le Pr Berrut.
Mais en dehors de ces situations, il ne faut jamais baisser les bras. Une évaluation fine, une présence sincère et le souci du détail peuvent faire émerger des signes de vie là où l’on ne les attendait plus. « Appétit retrouvé, mot échangé, main tendue », rappelle avec force le professeur Berrut. Autrement dit : un accompagnement humain et ajusté peut faire toute la différence.
Repenser l’accompagnement des personnes âgées en détresse, c’est refuser la résignation. C’est se rappeler que chaque personne, quel que soit son âge, mérite d’être écoutée, valorisée, entourée. Pr Gilles Berrut.
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