Scarifications : comprendre l’automutilation chez l’adolescent
Une entaille au cutter, une brûlure de cigarette… Se faire mal dans sa chair, pour oublier la douleur de l’esprit. Pour beaucoup d’adolescents en souffrance, la scarification est une forme paradoxale de refuge, le seul moyen d’exprimer leur souffrance psychique.
Scarifications chez l’adolescent : quelle signification ?
Les scarifications aussi appelées automutilations cutanées correspondent au fait de s’infliger des blessures à la peau, généralement à l’aide d’objets tranchants comme des couteaux, des rasoirs ou encore des aiguilles. Ces actes traduisent une grande détresse psychologique et sont souvent une réponse adaptative à des émotions insupportables et difficiles à exprimer.
Dans la majorité des cas, les scarifications touchent les adolescents, les adultes étant moins affectés par ce problème.
Le nombre de jeunes qui ont recours à ces comportements morbides a d’ailleurs augmenté, sans doute en raison d’influences externes comme les réseaux sociaux qui peuvent les amener à imiter les scarifications qu’ils voient chez d’autres jeunes. Dr Guillaume Camelot, psychiatre.
Selon une étude menée en France en 2013 par l’INPES, environ 1 adolescent sur 10 admet avoir pratiqué des automutilations, dont les scarifications. “Néanmoins, ces chiffres doivent être interpréter avec prudence car ces comportements sont souvent dissimulés ou minimisés par les jeunes”, souligne le psychiatre.
De la petite coupure à l’automutilation profonde
“Les scarifications peuvent aller d’un léger grattage sur la couche superficielle de la peau à l’aide d’un objet tranchant à des entailles profondes laissant des cicatrices”, d’après le docteur Guillaume Camelot.
Les avant-bras et bras, les poignets et les jambes sont les zones les plus souvent scarifiées mais ces actes peuvent aussi se pratiquer sur le ventre, le dos ou encore la poitrine…
- Les scarifications superficielles correspondent à des grattages ou à des petites coupures avec des objets tranchants.
- Les scarifications profondes peuvent entraîner des blessures plus graves avec des saignements importants et susceptibles de laisser des cicatrices. Le derme est alors souvent atteint :” la cicatrisation est plus longue. Parfois le processus de cicatrisation est altéré (cicatrices chéloïdes)”, prévient l’expert.
Parfois les zones mutilées sont assez étendues créant des motifs ou des formes géométriques.
Des risques d’infections, de cicatrices voire de décès
“Les grands risques à craindre en cas de scarification, sont l’infection cutanée et les cicatrices permanentes”, prévient le docteur Guillaume Camelot. Le risque de cicatrices est d’autant plus présent lorsque les scarifications sont toujours pratiquées sur la même zone.
Dans les cas les plus graves, les tissus sous-jacents peuvent être affectés (comme les muscles, les tendons ou les nerfs) et les coupures peuvent entraîner des hémorragies parfois fatales. Dans ce cas, les scarifications sont associées à des pulsions suicidaires et à des pensées morbides.
Quelles sont les causes des scarifications chez l’adolescent ?
Voici quelques pistes qui pourraient vous aider à comprendre pourquoi un adolescent peut être amené à se scarifier.
La plupart du temps, un profond mal-être
La plupart du temps, les scarifications traduisent des émotions très difficiles et des tensions internes (tristesse, colère, sentiment de culpabilité, frustration, anxiété…). Ces sentiments négatifs peuvent être la conséquence :
- de difficultés relationnelles ;
- d’événements difficiles voire traumatisants (violences, abandon, abus sexuels) ;
- d’une faible estime de soi : dans ce cas, les scarifications traduisent un désir de s’infliger des maltraitances en raison d’un profond mépris pour soi-même ;
- d’un trouble psychiatrique sous-jacent.
Plus rarement, c’est l’inverse : certains ados n’ont pas d’émotions négatives mais plutôt un sentiment de vide, ils utilisent la scarification de façon inappropriée pour ressentir quelque chose de fort. Enfin, dans certains cas, les adolescents se scarifient pour être acceptés dans un groupe social où ce type de comportement est normalisé.
Il faut être particulièrement vigilant avec les réseaux sociaux qui créent des communautés au sein desquelles ces comportements suscitent même une forme de fascination. Dr Guillaume Camelot, psychiatre.
Parfois un trouble psychiatre associé
“il n’est pas rare que les scarifications révèlent une pathologie psychiatrique comme une dépression, un trouble anxieux, des troubles alimentaires ou encore un trouble de la personnalité borderline”, souligne l’expert.
Une stratégie de gestion de sa souffrance
Les scarifications sont souvent des stratégies inefficaces de gestion d’émotions douloureuses :
- “Elles peuvent viser à exprimer une douleur psychique difficile à exprimer par des mots”, selon le docteur Guillaume Camelot. C’est donc un mode d’expression inapproprié, un appel à l’aide, une façon de rendre visible et évident ce qui est caché.
- Ajoutons que la douleur physique provoquée par ces blessures peut paradoxalement avoir pour but de provoquer une sorte de soulagement temporaire. « L’adolescent espère alors se donner l’illusion d’un certain apaisement pendant un moment après s’être scarifié, sans jamais y parvenir », pour l’expert.
Comment savoir si mon ado se scarifie ?
Voici quelques signes qui peuvent vous alerter :
- Des coupures ou des blessures inhabituelles le plus souvent sur les bras, les avant-bras, les poignets, les cuisses ou les hanches ;
- Le port de vêtements longs et couvrants : “bien souvent les adolescents tentent de cacher leurs scarifications en portant des manches longues même en été par exemple”, souligne l’expert.
- Des plaies qui ne cicatrisent pas voire se creusent ou s’aggravent ;
- Une tendance à devenir agressif lorsqu’on parle au jeune de certaines parties de son corps comme ses bras ou ses jambes ;
- Un retrait des activités physiques et sportives comme la natation ;
- Le refus de se changer devant d’autres personnes ;
- L’évocation d’idées de suicide ou d’actes d’automutilation.
Comment réagir face à la scarification d’un ado ?
Si vous soupçonnez votre adolescent de se scarifier, il est important de tenter de lui en parler avec bienveillance et sans jugement. Vous pouvez lui exprimer votre inquiétude et la gravité de ses actes qui le mettent en danger. Invitez-le à se confier sur ses émotions négatives. Vous pouvez aussi l’encourager à accepter une psychothérapie.
Si vous êtes certains que votre ado pratique les scarifications ou d’autres comportements à risque ou qu’il a des idées suicidaires, mieux vaut solliciter l’aide immédiate d’un médecin, d’un psychiatre ou d’un psychologue.
Quelques numéros utiles
- Fil Santé Jeunes : 01 44 93 30 74 (disponible de 9h à 23h, du lundi au vendredi)
- Sos suicide phénix : 01 40 44 46 45 (disponible 24h/24 et 7/7)
- Suicide écoute : 01 45 39 40 00 (également disponible 24h/24, 7 jours sur 7)
- Le 3114 : Ce numéro gratuit, anonyme et disponible 24h/24, permet de parler à un professionnel si l’on a des idées suicidaires ou si l’on se sent en détresse psychologique.
En cas d’urgence, vous pouvez vous rendre directement au service des urgences ou appelez le 15.
Comment faire pour qu’il arrête de se scarifier/mutiler ?
“Le traitement de première intention passe par une écoute bienveillante et sans jugement”, souligne le psychiatre Guillaume Camelot. Une prise en charge auprès d’un psychologue ou d’un psychiatre est souvent nécessaire pour venir à bout des idées et comportements morbides et à évaluer le risque de tentative de suicide.
La thérapie cognitive et comportementale ou TCC est l’une des approches les plus efficaces pour aider un adolescent à comprendre et à modifier les pensées et comportements qui conduisent à l’automutilation.
Il arrive que le psychiatre prescrive des médicaments, surtout s’il y a un trouble psychiatrique associé.
Des soins locaux peuvent être envisagés pour éviter l’infection des plaies et favoriser une bonne cicatrisation.
Si l’adolescent est en danger immédiat (idées suicidaires, automutilation extrême), une hospitalisation temporaire en milieu psychiatrique peut être envisagée pour assurer sa sécurité et lui fournir un soutien intensif.
Sources
Entretien avec le docteur Guillaume Camelot, psychiatre.
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