Syndrome du cœur brisé : quand le chagrin peut être fatal
Préambule de définition
Par chagrin, entendons « un état de déplaisir, de peine, d’affliction » (source 1). Et s’il est commun d’incriminer le chagrin à l’amour, le restreindre à celui-ci serait limité. En effet, le décès d’un proche, une catastrophe naturelle, l’annonce d’une maladie grave, un attentat, un licenciement, une victoire sportive sont autant d’autres événements où les émotions (qu’elles soient positives ou négatives) peuvent submerger, au point d’avoir l’impression que le cœur puisse lâcher. « Et c’est bien ce qui se produit dans certains cas » relève le médecin cardiologue, Clément Delmas. « Mourir de chagrin » est donc possible médicalement.
À quelle réalité médicale correspond l’expression « mourir de chagrin » ?
Chaque année en France (source 2), 3 000 personnes seraient victimes de ce que le jargon médical appelle le syndrome du cœur brisé (Broken heart syndrome), dit aussi syndrome ou cardiopathie de takotsubo » car décrit pour la première fois par des chercheurs japonais dans les années quatre-vingt-dix. Le terme fait par image, référence à ce pot à fond rond et col étroit dans lesquels les pêcheurs japonais piègent les pieuvres. « Le ventricule gauche prend en effet à l’échographie une morphologie particulière avec un aspect de « dyskinésie », des mouvements anormaux de la paroi cardiaque le plus souvent la pointe du cœur » illustre le Dr Delmas.
À savoir que ce syndrome est aussi dénommé ballonnisation apicale transitoire du ventricule gauche (LVAB), de cardiopathie de stress ou de myocardite adrénergique (source 3).
Comment se manifeste le syndrome du cœur brisé ? Les symptômes
Ce syndrome se présente souvent cliniquement comme infarctus associant douleur thoracique et oppression au niveau de la poitrine, difficultés pour respirer voire parfois sensation de malaise et tension artérielle basse…
Ces signes se manifestent quelques minutes ou heures après l’exposition à un stress sévère ou à une émotion inattendue sans qu’aucune autre cause ne justifie les troubles constatés. Dr Delmas, cardiologue.
Savoir distinguer l’infarctus du syndrome de takotsubo
Si les symptômes du syndrome du cœur brisé (essoufflements, douleurs thoraciques…) font donc immédiatement penser à un infarctus, il n’est cependant pas à confondre pour le traiter en conséquence.
- Origines divergentes : « L’infarctus est une urgence cardiovasculaire liée à une obstruction artérielle, tandis que le syndrome du cœur brisé est dû à une sidération transitoire du ventricule gauche du cœur, qui n’arrive plus à assurer sa fonction de pompe et ne peut alors pas envoyer suffisamment de sang dans le corps pour permettre son bon fonctionnement. « Il s’agit d’un dysfonctionnement temporaire du muscle cardiaque, sans obstruction des artères coronaires » explique le Dr Delmas.
- Facteurs de risque variés : si l’infarctus est plutôt lié à l’âge, à une consommation de tabac ou encore à des événements médicaux sous-jacents comme le diabète, une hypertension, un taux de mauvais cholestérol élevé ou à des antécédents familiaux ; le syndrome est quant à lui fréquemment associé à un stress aigu (physique ou psychologique). Par ailleurs, des études notamment menées par les équipes du CHU de Toulouse montrent que d’autres facteurs interdépendants semblent favoriser ou participer à l’apparition du syndrome du cœur brisé. Par exemple, une hyperactivation du système nerveux sympathique, un hypogonadisme (synthèse insuffisante des hormones sexuelles) ou encore des troubles anxiodépressifs majeurs (source 3).
Examen et diagnostic
Le diagnostic du syndrome repose principalement sur l’échocardiographie (qui permet de l’évoquer devant la forme en amphore que prend le cœur dans ce syndrome), la coronarographie qui élimine une obstruction des artères coronaires et une IRM cardiaque.
Le traitement du syndrome de takotsubo
« Pris en charge rapidement par le corps médical qualifié, les symptômes s’améliorent dans une grande majorité des cas, en quelques jours, sans laisser de séquelles » indique le Dr Delmas. Néanmoins, à la phase aiguë, les patients requièrent une prise en charge en service adapté du fait du risque de défaillance cardiaque parfois sévère et de troubles du rythme cardiaque « pouvant aboutir au décès, dans 1 à 3 % des cas ». À la sortie de l’hôpital, les patients requièrent, aussi, un suivi spécialisé cardiologique et des médicaments adaptés à leur état cardiovasculaire avec notamment un inhibiteur de l’enzyme de conversion et un bêtabloquant pour prévenir les troubles du rythme. Parfois, un médicament pour diminuer les risques de thrombose ou d’embolie est envisagé. Pour autant, il est important de rappeler qu’« actuellement, il n’y a pas de consensus pour le traitement du syndrome de takotsubo à sa phase aiguë, ou pour en prévenir l’évolution défavorable à moyen et long termes » souligne un article sur le sujet (source 5). « Une prise en charge psychologique voire psychiatrique pourrait être justifiée » selon le Dr Delmas.
Peut-on vraiment mourir de chagrin, de tristesse profonde ?
À la question « peut-on mourir de chagrin ? », la réponse médicale est donc affirmative. « Il existe bien une pathologie secondaire à cette tristesse profonde qui peut conduire au décès dans certains cas » confirme le Dr Delmas. Et si bien que dans cet article, nous ayons seulement soulevé le cas du syndrome du cœur brisé, d’autres aspects du chagrin doivent être ajoutés pour éviter d’autres issues moroses comme une éventuelle tentative de suicide (pouvant être motivée par une forme de dépression sévère), En bref, si vous entendez un proche souffrir d’« un cœur brisé », mieux vaudrait le prendre au sérieux pour, au besoin, pouvoir le faire accompagner par une équipe de santé adaptée.
Sources
Entretien réalisé par le Dr Clément Delmas, maître de conférences des universités praticien hospitalier (MCU-PH) coresponsable des soins intensifs de cardiologie au CHU de Toulouse et président du groupe « Urgence et soins intensifs » de la Société française de cardiologie.
Source 1 : définition de chagrin, Larousse
Source 2 : « Oui, le syndrome du cœur brisé existe et il peut être aussi dangereux qu’un infarctus », 14 mars 2019, Santé Figaro
Source 3 : « DIU Expertise IC et Cardiomyopathies », Dr C. Delmas, janvier 2025, Université Paul Sabatier
Source 4 : « Tako-tsubo, le syndrome du cœur brisé », fondation Agir pour le cœur des femmes
Source 5 : « Syndrome de takotsubo » février 2024, Médecine/sciences
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